LETTRE DE BERLIN
Malgré la multitude d’ouvrages qui ont été consacrés à Angela Merkel – une quinzaine à ce jour –, l’Allemagne n’en a pas encore fini avec elle. Après l’avoir adulée, le pays porte un regard beaucoup plus critique sur ses seize années passées au pouvoir. Y compris au sein de son propre parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), qui célébrait pourtant avec faste son 70e anniversaire, le 25 septembre, sous les arcades de l’Académie des sciences à Berlin. La feuille de route implicite de Friedrich Merz, le candidat officiel du parti pour les élections de 2025 et qui faisait ce soir-là son éloge, est bien la rupture avec son héritage.
Court-circuitant la sortie très attendue des Mémoires de l’ancienne chancelière, qui paraîtront simultanément dans plus de trente pays le 26 novembre, un ouvrage du journaliste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Eckart Lohse, paru le mois dernier, dresse pour la première fois depuis son départ un bilan accusateur de cette figure tutélaire, autour d’une critique désormais largement partagée en Allemagne : l’absence de grande réforme au cours de ses quatre mandats.
Alors que le monde se transformait à grande vitesse, Angela Merkel a cherché à préserver la douce insouciance d’un pays alors satisfait de sa puissance, avance le livre. En leur évitant des réformes potentiellement douloureuses, la chancelière a voulu imposer « le moins de contraintes possibles à ses 80 millions de protégés », écrit l’auteur, tandis qu’émergeaient de nouveaux périls au tournant du siècle : dépendance à l’égard de la Russie pour l’approvisionnement en gaz, aveuglement et passivité face aux projets impérialistes de Vladimir Poutine et aux ambitions de puissance de la Chine sur le terrain économique, sous-investissement dans la défense, ainsi que dans les infrastructures en dépit des enjeux de la transition écologique.
Le pays s’est « volontiers laissé berner »
« Le bilan dressé peu après la passation de pouvoir à Berlin est un réveil brutal, juge l’auteur. Les Allemands ont apprécié cette sécurité dans un monde inquiétant. Ils ont remercié leur chancelière, élue quatre fois, de leur avoir fait croire que ce modèle était toujours adapté à la vie quotidienne. » En 2021, lorsque Angela Merkel quitte le pouvoir alors que le Covid-19 impose encore des restrictions au commerce mondial, l’Allemagne commence à mesurer les risques que font planer sur son modèle les dépendances multiples qui la lient à ses partenaires, notamment à la Chine en matière de technologie. L’année suivante, c’est toute son industrie qui est ébranlée par la flambée des prix de l’énergie provoquée par l’embargo sur le gaz russe à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Celle-ci traverse encore l’une des crises les plus graves de son histoire, plongeant le moteur économique de la zone euro dans la récession.
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