Le ministre allemand de la défense n’a pas cherché à minimiser la gravité de l’affaire. « L’incident va bien au-delà de l’interception et de la publication d’une conversation, mais fait partie de la guerre de l’information que mène Poutine », a déclaré Boris Pistorius, dimanche 3 mars, deux jours après la diffusion par la chaîne russe RT d’une discussion entre hauts responsables de l’armée de l’air allemande (Luftwaffe) dans laquelle il est notamment question de la livraison à l’Ukraine de missiles de croisière de type Taurus. « ll s’agit d’une attaque hybride de désinformation qui vise à nous déstabiliser, à nous insécuriser et à nous diviser sur le plan politique », a-t-il prévenu, avant d’ajouter : « J’espère que Poutine n’y parviendra pas. »
M. Pistorius a raison de s’inquiéter. Depuis vendredi, ce que les médias allemands ont tôt fait d’appeler le « scandale des écoutes » a plongé le pays dans la consternation. Comment, en effet, expliquer que la Russie, qui plus est dans le contexte géopolitique actuel, ait eu accès à une conversation réunissant quatre hauts gradés de la Luftwaffe, dont son commandant en chef, Ingo Gerhartz ?
La réponse est d’une simplicité consternante : au lieu de communiquer sur un réseau crypté, les quatre hommes se seraient contentés d’échanger sur la plate-forme publique de visioconférence WebEx, l’un d’entre eux s’étant connecté avec son téléphone portable depuis une chambre d’hôtel à Singapour. « Il y a des indices selon lesquels un canal de communication insuffisamment sécurisé a été utilisé au regard des contenus manifestement discutés. C’est l’objet des investigations en cours », a déclaré, dimanche, une porte-parole du ministère de la défense, faisant référence à l’enquête confiée dès vendredi au MAD, le service de contre-espionnage militaire.
Fuite intéressante pour Poutine
Si l’affaire est désastreuse pour l’image de l’armée allemande, elle est aussi embarrassante politiquement. Le contenu de la conversation interceptée est en effet tout sauf anodin. Dans l’extrait de trente-huit minutes, dévoilé par la rédactrice en chef de RT, Margarita Simonian, les participants discutent notamment de la façon dont l’armée ukrainienne pourrait utiliser les missiles Taurus si l’Allemagne décidait de lui en fournir. Evoquant la possibilité qu’elle s’en serve pour frapper le très symbolique et stratégique pont de Kertch, qui relie la Russie à la Crimée, ils expliquent qu’un déploiement rapide de ces armes ultrasophistiquées supposerait l’envoi sur place de soldats allemands. Ils ajoutent que les Ukrainiens pourraient les utiliser par eux-mêmes s’ils étaient formés à cette fin par la Bundeswehr, par exemple sur la base aérienne de Büchel, dans l’ouest de l’Allemagne, mais en précisant que dans ce cas, une formation de plusieurs mois serait nécessaire.
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