Comme de nombreux militants du Hirak, le mouvement populaire qui a agité l’Algérie entre 2019 et 2021, Hamid a marché pour la Palestine, jeudi 19 octobre, « même si la manifestation est encadrée par un régime qui interdit les rassemblements et continue de réprimer ceux qui demandent un changement pacifique ». « C’est un devoir », dit-il, tout en disant comprendre ceux qui ont annoncé, sur les réseaux sociaux, leur refus de participer à une « manifestation organisée par le pouvoir ».
Les autorités algériennes, qui interdisent tous les cortèges par hantise d’un retour du Hirak, avaient réprimé sans ménagement des tentatives de marches de soutien à Gaza le 13 octobre. En réaction, l’ancien chef du Mouvement de la société pour la paix (MSP, proche des Frères musulmans), Abderrezak Makri, avait dénoncé, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, l’interdiction faite aux Algériens d’exprimer leur solidarité. Il invitait alors le pouvoir à organiser lui-même ces rassemblements, la question de la Palestine étant l’un des rares sujets de consensus entre le pouvoir et les différentes oppositions.
L’Algérie offrait effectivement le paradoxe, depuis le début de la guerre à Gaza, d’être un pays sans droit de manifester alors que le soutien populaire et officiel à la « résistance par tous les moyens » des Palestiniens est sans faille. La frustration s’exprimait ouvertement sur les réseaux sociaux où certains relevaient avec dépit qu’au Maroc, pays qui a normalisé ses relations avec Israël, la population a pu exprimer sa colère. La position d’Alger devenait dès lors de plus en plus intenable, d’autant que l’émotion de sa population allait crescendo. Le risque devenait grand que les manifestations, « incontrôlées », reprennent notamment à la sortie des mosquées après la prière du vendredi.
« Deux-poids, deux-mesures »
Pour éviter ce cas de figure, les autorités ont donc incité, avec l’appoint du Front des forces socialistes (FFS) et de partis satellites la population à descendre dans la rue jeudi. Malgré l’absence notable des « islamistes en barbe et djellaba », selon la formule du site Twala pour désigner les partisans de l’ex-Front islamique du salut (FIS) – dont 16 anciens dirigeants ont été placés sous mandat de dépôt le 13 octobre après la publication d’un communiqué sur la situation générale du pays –, les Algériens ont finalement répondu par milliers « présents pour la Palestine ».
Comme Hamid, beaucoup ont choisi d’oublier que le rassemblement était encadré par un « pouvoir qui bafoue le droit de manifester ». L’objet de leur dénonciation : « le deux-poids deux-mesures » des Occidentaux qui condamnent le Hamas comme si « l’histoire avait commencé le 7 octobre », lorsque plus d’un millier d’Israéliens, en grande majorité des civils, ont été tués, et dénient aux Palestiniens le « droit de résister qui est donné aux Ukrainiens ». Sur leurs banderoles étaient inscrits : « Non au meurtre des enfants, des femmes et des civils ! », « Où sont les droits de l’homme ? », « Biden criminel de guerre ». Certaines réclament le renvoi de l’ambassadrice américaine à Alger.
Beaucoup dénoncent également les médias français qu’ils jugent partiaux. En Algérie, même les laïcs considèrent que les islamistes du Hamas sont d’abord un mouvement de résistance, et n’hésitent pas à établir un parallèle avec le combat pour l’indépendance. « Personne n’oublie que le Front de libération nationale (FLN) était également qualifié de “terroriste” par l’occupation », note Hamid.
Les autorités ont décidé d’annuler toutes les événements culturels y compris les festivités du 1er-Novembre, date du déclenchement de la révolution algérienne (1954-1962). La décision ne fait pas consensus. Pour certains, la date du 1er novembre était une occasion de clamer la légitimité du droit des Palestiniens à la résistance, y compris par les armes.