Du procès d’Aix-en-Provence à celui de Mazan, la longue bataille des idées sur le viol

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En quelques semaines, les gestes de soutien sont devenus des rituels fédérateurs. Aux applaudissements saluant le passage de Gisèle Pelicot à la sortie des audiences s’ajoutent désormais les voix du chœur féministe d’Avignon. La présence massive du public et de la presse témoigne de l’ampleur de l’émotion que suscite, depuis près de deux mois, le procès des viols de Mazan.

Cet écho doit beaucoup au scénario glaçant orchestré pendant dix ans par le principal accusé, cet « homme parfait », selon son épouse, jugé pour l’avoir droguée afin de la violer et de la faire violer dans son sommeil à plus de deux cents reprises. L’onde de choc du procès tient aussi aux figures des 50 coaccusés et à leur insistance à répéter qu’ils ne sont pas des violeurs et qu’ils ont agi « sans intention », puisqu’ils pensaient qu’« être invité par le mari, c’est être invité par le couple ».

Parce qu’elle a eu le courage, le premier jour d’audience, de demander la publicité du procès, Gisèle Pelicot a ouvert un nouveau chapitre de l’histoire des luttes contre les violences sexuelles et permis que s’engage un débat public salutaire sur les mécanismes du viol, sa permanence et l’origine de son déni, ainsi que sur la question centrale du consentement.

« Il ne fait aucun doute que, par sa puissance et son impact, l’affaire des viols de Mazan fait déjà partie de ces grands procès qui ont marqué l’histoire et servi de catalyseurs, d’accélérateurs de l’évolution des consciences et de changements législatifs », commente l’historienne Christine Bard, autrice de Féminismes. 150 ans d’idées reçues (Le Cavalier bleu, 2023). « Au-delà de l’émotion collective que suscitent les faits, les réactions à cette affaire illustrent un tournant culturel », observe la philosophe Sandra Laugier.

Une domination séculaire

Ce tournant tient pour une large part aux clés d’analyse désormais disponibles pour penser des actes longtemps considérés comme impensables, et en identifier les ressorts. Cinq décennies de recherches féministes et d’études de genre ont mis au jour les racines anthropologiques du viol, et le système de domination et de pouvoir dans lequel il s’inscrit, tout en identifiant les profondes réformes nécessaires pour que la situation évolue.

Hier circonscrites aux revues d’histoire ou de sciences sociales et aux débats entre spécialistes, des notions comme la culture du viol, le système de domination masculine, l’objectivation et l’aliénation des femmes, s’affichent désormais à la une des journaux télé et des médias généralistes, s’invitent dans les déjeuners de famille ou les discussions entre collègues, dans un exercice inédit de pédagogie féministe. « Avec l’affaire des viols de Mazan, la prise de conscience a franchi un cap et déborde largement les publics acquis », constate l’historienne Christelle Taraud, qui a dirigé l’ouvrage Féminicides. Une histoire mondiale (La Découverte, 2022).

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