« Du procès d’Aix de 1978 à celui des viols de Mazan, le courage des victimes de refuser le huis clos transforme la justice en puissant instrument de débat public »

3032


Quarante-six ans séparent le « procès d’Aix » de 1978 de celui, en cours à Avignon, des viols de Mazan. Alors que l’Etat giscardien se penchait sur la « condition féminine », l’avocate Gisèle Halimi obligeait la société française à regarder en face la question du viol des femmes et à entendre la parole des victimes, deux campeuses attaquées en pleine nuit dans la calanque de Morgiou, près de Marseille. Depuis le début septembre, les audiences de la cour criminelle du Vaucluse confrontent le pays à la parole d’hommes ordinaires accusés de viols par soumission chimique organisés par un mari sur sa femme.

En près d’un demi-siècle, tout a changé en apparence. Difficile d’imaginer aujourd’hui la somme de courage qu’il avait fallu à Anne Tonglet et à Araceli Castellano, les deux victimes de 1978, en état de choc après quatre heures d’agression, pour aller immédiatement porter plainte à la gendarmerie. On n’imagine pas l’interrogatoire à charge qu’elles ont subi d’une juge d’instruction qui leur a fait signer, en dépit des échanges de coups non contestés et de leurs blessures visibles, des procès-verbaux selon lesquels elles avaient « fini par devenir consentantes ». On se pince en apprenant que les viols avaient été, dans un premier temps, requalifiés en « coups et blessures » alors que l’une des victimes était tombée enceinte.

« Pourquoi, pendant les deux jours d’audience, a-t-on insisté pour continuer de faire des deux victimes des accusées ? », interroge Josyane Savigneau, qui couvre alors le procès pour Le Monde et décrit le climat de haine qui l’entoure. Gisèle Halimi est bousculée, injuriée, menacée. Dans la mêlée, on peste contre « toutes ces gouines, putains et mal baisées qui viennent se plaindre d’être violées ». L’un des accusés tente de se justifier : « Je ne pouvais pas supporter d’avoir été repoussé par ce boudin. »

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés En 1978, le procès qui a changé le regard de la France sur le viol

Quarante-six ans plus tard, la définition du viol élargie par la loi de 1980, la qualification de crime confortée par ce texte, fruits de la mobilisation militante et du procès d’Aix, constituent des acquis. Des décennies de luttes féministes et la vague #metoo ont mis au jour le caractère massif des violences sexuelles et hissé la question de l’écoute de la parole des femmes et de leur protection au centre des débats de société. Le fait, établi, que la grande majorité des viols sont commis par des hommes appartenant à l’entourage des victimes, interroge sur la banalité des rapports de domination et sur les mécanismes sociaux qui les perpétuent. Alors que les victimes se faisaient injurier en 1978, Gisèle Pelicot est célébrée comme une héroïne personnifiant l’espoir que « la honte change de camp ».

Il vous reste 55.29% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link