Des experts en médecine légale publient le témoignage d’une femme victime de violences conjugales

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C’est l’histoire de Marie B (le prénom a été modifié), victime de violences conjugales. Cette patiente est examinée dans le cadre d’une expertise médico-légale visant à évaluer l’impact de la perte de la qualité de vie.

Il est rare que des psychologues, psychiatres ou médecins légistes, rapportent dans la littérature médicale le témoignage de femmes séparées de leur partenaire du fait de ces violences, et que ces articles retranscrivent des éléments de leur discours en montrant la relation d’emprise de la part du conjoint violent et les divers types de violences subies.

Lola Duquesne, de l’unité médico-judiciaire du service de médecine légale de l’hôpital Edouard-Herriot du CHU de Lyon, en collaboration avec des spécialistes en dommage corporel et médecine générale, rapporte le résultat de l’expertise d’une femme de 46 ans qui a porté plainte suite à des violences physiques, verbales, et psychologiques itératives de la part de son ex-compagnon. L’article a été publié dans le numéro daté de mars 2025 des Archives of Legal Medicine.

Dans le cadre de leur expertise, ces spécialistes lyonnais se sont intéressés à l’impact de la perte de la qualité de vie chez une femme victime de violences conjugales. Autrement dit ce que l’on appelle le déficit fonctionnel permanent, défini par les répercussions sur les plans physique, psychosensoriel, intellectuel qui ont été induites par les violences subies. Il s’agit donc d’évaluer l’atteinte des fonctions physiologiques, la douleur permanente ressentie, la perte de qualité de vie et les troubles rencontrés au quotidien par la victime, après consolidation (moment où l’état de santé de la victime est stabilisé).

Marie B a déposé plainte contre son ex-compagnon après deux incidents de violences physiques, verbales et psychologiques, qui s’inscrivent dans un contexte de violences répétées sur une période de quatre ans.

Analyse du vécu de la victime

Dans un tel contexte, les auteurs de l’expertise (médecin légiste, avocate spécialisée dans le dommage corporel, maître de conférences associé de médecine générale) se sont intéressés au vécu de la victime, de la petite enfance à l’âge adulte. Lors de l’entretien, Marie confie avoir vécu dès le plus jeune âge une relation conflictuelle avec son père, tandis que sa relation avec sa mère était très fusionnelle. Dans son enfance, elle a été témoin de violences répétées entre ses parents et a souffert de harcèlement scolaire à l’école primaire.

À 21 ans, sa première relation a été marquée par des violences physiques et verbales de la part de son petit ami de l’époque, puis d’autres hommes. Elle est tombée enceinte mais a élevé sa fille seule, le père ayant refusé de reconnaître l’enfant. Elle a également indiqué aux médecins de l’unité médico-judiciaire avoir eu des antécédents de dépression, liés aux conflits familiaux et à ses relations violentes passées. Elle a été hospitalisée à plusieurs occasions et reçoit désormais l’allocation aux adultes handicapés.

Elle raconte que sa rencontre avec ce conjoint violent, pendant des vacances en 2019, fut un vrai « coup de foudre ». Elle traversait alors une période de deuil, ayant récemment perdu sa mère avec qui elle avait une relation particulièrement forte.

Marie souligne cependant que leurs premiers rapports intimes lui ont paru « violents », associés à des gestes de contention. Elle confie avoir eu le sentiment d’être traitée comme un « objet pour son plaisir à lui », ce qui témoigne selon les médecins d’une « certaine stratégie de domination par l’auteur présumé des faits ».

Après avoir passé toutes leurs vacances ensemble, elle emménage avec sa fille chez son conjoint, puis le couple s’installe dans sa ville d’origine à elle. Marie indique que son compagnon boit de plus en plus d’alcool et ne retrouve pas de travail.

Trois mois après leur rencontre, Marie subit les premières violences physiques. Elle rapporte que son ex-compagnon la giflait, principalement lors de discussions où elle exprimait un avis, et lorsqu’il était ivre. Il l’insultait et la rabaissait quotidiennement. Les violences physiques se sont intensifiées pendant le confinement, devenant de plus en plus difficiles à endurer. Par la suite, il a contrôlé ses sorties, ses fréquentations et ses appels. Elle a aussi précisé qu’elle assumait seule tous les frais du quotidien.

Conjoint sous l’emprise de l’alcool lors des faits de violence

Comme le soulignent les médecins de l’hôpital Édouard-Herriot, son ex-conjoint correspond au profil typique des auteurs de violences conjugales décrit dans la littérature médicale : un homme, âgé de 30 à 49 ans, sans activité professionnelle. Il consommait de l’alcool quotidiennement et était d’ailleurs sous l’emprise de l’alcool lors des faits de violence, ce qui est conforme avec les études publiées qui révèlent que plus de la moitié des cas de violences conjugales implique l’utilisation d’une substance pouvant altérer le jugement de l’agresseur au moment des faits.

Elle porte plainte contre son conjoint en septembre 2022. « Son ex-compagnon, furieux de ne pas avoir eu de réponse à ses appels téléphoniques, aurait essayé de l’étrangler à leur domicile. Elle aurait alors tenté de se mettre à l’abri dans la salle de bain, mais il aurait réussi à lui donner un premier coup de poing au niveau de la mandibule, puis un second au niveau de la tête, lui faisant perdre l’équilibre. Sa fille aurait assisté à la scène en pleurant et en criant, et son ex-compagnon l’aurait alors vivement réprimandée. Effrayée qu’il soit violent envers elle, elle aurait alors pris conscience de la gravité des faits et de l’urgence de quitter les lieux ». Après plusieurs échanges, il les aurait finalement laissées partir, leur permettant de contacter les secours et d’être transportées à l’hôpital.

Le certificat médical établi lors de l’hospitalisation fait état d’une plaie et d’un hématome au niveau du visage, ainsi qu’un trait de fracture d’une dent (incisive inférieure gauche). Un dentiste établit un second certificat qui mentionne une luxation de la mandibule. Marie dépose alors plainte et une mesure d’éloignement est ordonnée.

Elle raconte qu’elle croise régulièrement dans son quartier son ex-compagnon et que celui-ci essaie de la contacter tous les jours. Fin décembre 2022, elle est allée le voir pour lui demander d’arrêter de la suivre et de la harceler. « Une dispute aurait alors éclaté, et il lui aurait assené des coups de ciseaux au niveau du visage, du cou et du ventre. Elle nous a expliqué avoir abondamment saigné. Elle a gardé de ce jour-là un souvenir particulièrement traumatisant, elle a eu le sentiment qu’elle allait mourir ».

C’est alors que Marie porte plainte pour la seconde fois, après avoir été transportée aux urgences par les pompiers. Un certificat médical est établi, qui décrit la présence de plusieurs plaies ayant dû être suturées.

Isolement à domicile, honte du regard des autres

Sur le plan psychologique, Marie décrit des symptômes de syndrome anxiodépressif, pour lequel elle est traitée. Elle évoque un isolement à domicile, marqué par une peur constante des hommes et un sentiment de honte en raison du regard des autres, la dernière agression ayant eu lieu en public dans son quartier.

Les médecins lyonnais rapportent que Marie leur a indiqué « avoir changé de médecin traitant pour être suivie par une femme et précisé que son cercle proche était désormais principalement composé de femmes. Depuis les faits, elle n’a plus de ciseaux chez elle. D’un point de vue physique, elle a mentionné des douleurs persistantes à la cicatrice de son visage, ainsi que des maux de tête et des douleurs cervicales presque quotidiennes ».

Les auteurs indiquent que Marie présente des flash-backs, les cauchemars, la dépression avec perte d’élan vital, l’état d’hypervigilance et les troubles du sommeil, autant d’éléments constitutifs d’un trouble de stress post-traumatique.

Des répercussions notables sur la qualité de vie

La qualité de vie liée à la santé est évaluée à l’aide du questionnaire SF-36, composé de 36 questions réparties en huit dimensions (activité physique, vie et relations avec les autres, douleurs physiques, santé générale perçue, vitalité, limitations dues à l’état psychique, limitations dues à l’état physique, santé psychique).

Il ressort que Marie présente d’importantes répercussions dans sa vie relationnelle et sociale et que, sur le plan physique, elle éprouve une fatigue générale (asthénie), des douleurs quotidiennes et une perception négative de son état de santé. Par ailleurs, les médecins observent que Marie conservent trois cicatrices importantes : l’une sur la tempe gauche, une autre à l’arrière et en bas du crâne du côté gauche, et une troisième à l’arrière du cou. Ils notent enfin une diminution du relief de la pommette gauche, « pouvant correspondre à une séquelle d’un coup porté au niveau de l’os zygomatique ».

Lors de l’expertise, plusieurs éléments ont révélé un contrôle coercitif exercé sur Marie par son ex-conjoint. Ces comportements se sont intensifiés au fil des années, atteignant leur apogée quelques mois avant les violences pour lesquelles elle a porté plainte. « Elle nous a rapporté un isolement de plus en plus important vis-à-vis de son entourage, des privations de ses sorties, des contrôles de ses fréquentations et de ses appels. L’auteur présumé des faits a donc cherché à la priver de sa liberté, voire à lui faire perdre sa propre identité », précisent les auteurs.

Lors de l’entretien, Marie a expliqué avoir finalement pris conscience du contrôle que son ex-conjoint exerçait sur elle. Pourtant, à la fin de l’expertise, elle a confié être toujours en contact avec lui, via son avocate, pour lui restituer ses affaires lorsqu’il sortira de prison. Elle devait initialement les remettre aux policiers, mais en a finalement stocké une partie dans un garde-meuble. « Ainsi, même après les conséquences importantes des faits rapportés et l’épuisement lié aux longues procédures judiciaires, il n’est pas exclu que Marie soit encore sous la domination de l’auteur présumé des faits. Ceci rappelle donc la puissance du contrôle coercitif et les lourdes séquelles qu’il peut engendrer », concluent les auteurs de l’expertise.

Pour en savoir plus :

Duquesne L, Lebrun J, De Freminville H.Le déficit fonctionnel permanent et la perte de qualité de vie dans le contexte des violences conjugales : l’histoire de Marie B. Arch Leg Med. 2025 Mar ; 16 (1) : 200503. doi : 10.1016/j.aolm.2024.200503

Dufrou J, Sorel O. L’emprise psychologique dans les violences conjugales. Ann Med Psychol (Paris). 2024 Oct ; 182 (8) : 725-734. doi : 10.1016/j.amp.2024.07.003

Jacus JP, Le Goff J, Cuervo-Lombard CV. Violences et maltraitances intrafamiliales (conjugales, infantiles et sur personnes âgées) : aspects épidémiologiques et approche psychopathologique. Ann Med Psychol (Paris). 2024 Oct ; 182 (8) : 706-711. doi : 10.1016/j.amp.2023.12.014

Deparis N, Rudelle K, Lévêque C, et al. Attentes des femmes VIctimes de violences Conjugales envers leur Médecin Généraliste (AVIC-MG), une étude descriptive. Santé Publique. 2024 mai-juin ; 36 (3) : 49-56.

Courtois R, Roy V, Causse L. État des lieux de la recherche en France concernant la prise en charge des auteurs de violences conjugales en lien avec l’évolution des politiques publiques. Ann Med Psychol (Paris). 2024 Fev ; 182 (2) : 172-178. doi : 10.1016/j.amp.2023.12.008

Grihom MJ, Metz C, Thevenot A. Femmes dans un lien conjugal violent. Passivité-détresse dans les liens premiers et entraves de la subjectivation. Rev. Latinoam. Psicopat. Fund., São Paulo. 2022 : 25 (3) : 619-642. doi : 10.1590/1415-4714.2022v25n3p619.7

Metz C, Chevalerias MP, Thevenot A. Les violences dans le couple au risque d’en mourir : paroles de femmes. Ann Med Psychol (Paris). 2017 : 175 (8) : 692 – 697. doi : 10.1016/j.amp.2016.10.011

Bréhat C, Thévenot A. Traces psychiques de violences conjugales passées sur la grossesse et risque de prématurité. Recherches familiales. 2019 ; 1 (16) : 129-140.

Douat J, Paoli JR, Irsutti M, Arne JL. L’avulsion du nerf optique, un diagnostic à connaître ! Rev Stomatol Chir Maxillofac. 2007 ; 108 (3) : 225-227. doi : 10.1016/j.stomax.2006.10.004

Info rapide N°44. Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2023 (Ministère de l’intérieur) (OMS, 2012)

La violence exercée par un partenaire intime (OMS, 2012)

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