Derrière les drag-queens, des kings méconnus

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« A partir de maintenant, il faut que tu me genres au masculin », corrige Johanna, 39 ans, qui a souhaité garder l’anonymat comme ses camarades. Face au miroir, engoncé dans son col roulé sage, devenu Hayden la Vidange, il rehausse le large trait marron sous ses pommettes d’un fard gras blanc cassé, pour souligner sa mâchoire. Le contouring – technique de maquillage permettant de redessiner les contours du visage – marque la première étape de sa transformation en drag-king, une pratique visant à réinvestir les codes de la masculinité, là où les drag-queens mettent en scène des féminités. Exit Johanna donc, cette femme longtemps rongée par la timidité, habitée par des conflits d’identité de genre par le passé.

A l’abri du froid de ce vendredi de janvier, dans les loges intimistes du Théâtre Clavel dans le 19e arrondissement de Paris, Hayden la Vidange et huit autres drag-kings s’affairent. Plus que quelques heures avant le coup d’envoi du spectacle marquant les 5 ans de la Kings Factory, un collectif soutenant les artistes français, né en 2019, transformé depuis en association. Lesbienne, bisexuelle, transgenre, gender fluid, queer… La plupart des neuf membres ont trouvé dans la pratique artistique du drag-king le moyen, entre autres, de sonder et d’affirmer leur identité de genre et/ou leur orientation sexuelle.

Bien moins médiatisée que celle des queens, la scène française des kings n’en reste pas moins vibrante dans l’Hexagone. Des premiers shows dans des caves parisiennes exiguës à la formation du collectif en 2019, et jusqu’au Musée du quai Branly, à Paris, où ils proposeront une performance le samedi 2 mars dans le cadre de la soirée « L’ethnologie va vous surprendre ! Le corps », ces artistes décrivent un milieu foisonnant, espérant passer de l’ombre à la lumière auprès du grand public.

Car si le drag a largement fait irruption dans les foyers avec le succès des deux saisons de l’émission « Drag Race France », lancée en 2022 sur France 2, seules des queens ont été candidates, couronnant tour à tour Paloma puis Keiona. Certes, des drag-kings y sont passés, mais en tant qu’invités dans un épisode seulement. On avait pu découvrir Jésus la Vidange –cofondateur de Kings Factory avec Thomas Occhio et inspirateur de plusieurs artistes qui reprennent son nom de scène –, mais aussi un de ses disciples, Juda la Vidange, et Chico.

« Très ancré dans une culture féministe »

Penser que la pratique du drag-king est née dans les années 2010 serait une erreur, prévient d’entrée Luca Greco, professeur en sociolinguistique à l’université de Lorraine, auteur de Dans les coulisses du genre : la fabrique de soi chez les Drag Kings (Lambert-Lucas, 2018) : « En France, des personnes assignées femmes à la naissance ont expérimenté des subjectivités corporelles subversives bien avant, notamment avec la figure de la garçonne dans les années 1920. » Apparue dans les années 1980 sur des scènes lesbiennes et alternatives à New York, San Francisco, Berlin ou Londres, la pratique du drag-king, très politisée, débarque en France à la toute fin des années 1990. Des chercheurs et militants transgenres à l’image du philosophe et essayiste espagnol Paul B. Preciado ou du sociologue Sam Bourcier organisent alors des ateliers.

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