« Contrairement à une idée reçue, le public ne se détourne pas des sciences sociales »

2097


Depuis des années, c’est le même refrain : les sciences sociales seraient inaudibles. Leurs travaux seraient trop proches du « bon sens » pour être crédibles, leurs résultats perçus comme partisans, et leur parole éclipsée par celle des dirigeants, des consultants ou des responsables politiques. Bref, les chercheurs parleraient dans le vide.

Pourtant, nos travaux récents renversent ce diagnostic. Les résultats sont clairs : contrairement à cette idée reçue, le public ne se détourne pas des sciences sociales : il leur accorde même sa confiance et souhaite les lire, mais seulement lorsque les universitaires parlent de ce qu’ils connaissent et s’affichent comme chercheurs. En revanche, dès qu’ils s’aventurent hors de leur domaine ou endossent en même temps la casquette de praticien, la confiance s’érode.

Cette conclusion s’appuie sur un protocole solide : un échantillon représentatif de 1 080 Français a lu plusieurs versions d’une même tribune de presse, dans lesquelles l’identité et le profil de l’auteur étaient systématiquement modifiés. Les lecteurs ont ensuite évalué l’expertise et la légitimité de l’auteur, et indiqué s’ils voulaient lire la suite de la tribune, notamment en payant l’accès via un paywall : un véritable indicateur de comportement. Répliquée dans d’autres pays européens, l’expérience donne partout le même résultat : les universitaires bénéficient d’une solide crédibilité, mais cet avantage disparaît dès qu’ils sortent de leur champ en s’exprimant à propos de sujets dont ils ne sont pas spécialistes ou brouillent leur rôle en se présentant aussi comme praticiens.

Principale voie de valorisation

Ce constat réfute l’explication classique du supposé déficit d’audience des sciences sociales. Jusqu’ici, trois hypothèses dominaient : un déficit d’expertise perçu par rapport aux sciences exactes, qui ferait apparaître leurs résultats de recherche comme des opinions ; une méfiance liée aux débats sur la reproductibilité et aux accusations de biais idéologique ; et la concurrence d’acteurs de terrain, dont la parole semblerait plus légitime dans l’espace médiatique. Nos résultats montrent que ces obstacles ne condamnent pas les sciences sociales à l’invisibilité. Le public fait confiance aux universitaires, mais il évalue la légitimité de leur parole en fonction de l’adéquation entre leur discipline et le sujet traité.

Il vous reste 45.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link