Certains y verront une séquence digne d’un film d’horreur, d’autres admireront la puissance sans limites de l’instinct de survie animal. Les images rendues publiques, lundi 9 septembre, par une équipe de l’université de Nagasaki (Japon), à l’appui d’un article publié dans la revue Current Biology, ne peuvent qu’impressionner. On y voit une jeune anguille avalée par un gros poisson remonter de l’estomac et s’échapper du corps du prédateur en passant… par ses ouïes.
Cette observation, Yuuki Kawabata et ses collègues l’ont réalisée en deux temps. A l’occasion d’une première recherche, publiée en 2022, ils souhaitaient étudier le comportement d’anguilles japonaises juvéniles face à l’un de leurs prédateurs. Dans le rôle de ce dernier, le dormeur noir (Odontobutis obscura), un solide et peu séduisant cousin des gobies. A l’inverse, les frêles anguilles, âgées d’environ 1 an et tout juste sorties de leur stade de civelle, ne dépassaient pas les 7 centimètres. Au cours de leur observation, ils découvrent, « stupéfaits », une des proies préalablement ingérées − par la bouche, donc − ressortir cette fois par les branchies. « Nous avons pensé que les anguilles passaient directement de la bouche du dormeur noir à ces ouïes. Nous voulions voir exactement comment », raconte Yuuki Kawabata.
Observer l’opération n’allait pas de soi. Les caméras à rayons X existent. Elles peuvent voir à travers le corps du prédateur. Mais le squelette des anguilles est si fin qu’il échappe aux images. Ils ont donc injecté à celles-ci un agent de contraste, du sulfate de baryum. Ils ont aussi dû adapter les aquariums afin d’éviter les mouvements intempestifs des prédateurs et suivre ainsi en vidéo l’intégralité de l’opération.
Et là, deuxième choc : ils ont constaté que toutes les anguilles étaient avalées et qu’elles poursuivaient leur route à travers l’œsophage du dormeur noir jusqu’à atteindre l’estomac. C’est là que commence l’opération « survie », cumul de force et de souplesse. L’anguille y déploie son corps filiforme, en commençant par la queue, qui repart en arrière, glisse dans le sphincter de l’estomac, remonte l’œsophage et vire en direction des ouïes. Une fois l’extrémité sortie, elle s’accroche au bord, commence à tracter le reste du corps. Enfin la tête se retourne, bascule et s’extrait du piège.
Neuf anguilles sauvées
La performance apparaît d’autant plus étonnante que l’estomac – toutes espèces confondues – est réputé particulièrement hostile, y compris pour des proies n’ayant pas été déjà croquées. Entre l’acidité extrême et l’absence d’oxygène, le temps de survie y est compté. Les chercheurs japonais ont vérifié : au bout de deux cent dix secondes, plus aucun mouvement n’est enregistré, car les anguilles succombent. Celles qui s’en sortent agissent donc beaucoup plus vite. En moyenne, cinquante-six secondes.
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