

Coup de mou
Le 25 avril, à 2 heures du matin, Paris a perdu – un peu – de sa superbe. Les ailes du Moulin-Rouge, qui illumine depuis cent trente-cinq ans les nuits parisiennes, se sont écrasées sur le trottoir de Pigalle, comme de vulgaires poivrots en fin de bordée. Hormis l’orgueil de la Ville Lumière, l’accident n’a blessé personne, à cette heure pourtant de pointe du quartier. Les ailes ont emporté le M, le O et le U de la façade, flanquée provisoirement d’un ridicule « lin rouge » qui ne rime à rien. La presse internationale s’est amusée, gaussée serait le mot le plus juste, de ce fait divers. La direction a très vite rouvert le cabaret, qui accueille six cent mille spectateurs par an. Elle a promis que le lieu mythique retrouverait rapidement ses appendices perdus. Ce ne sera là, au fond, qu’une anecdote, qu’un cancan de plus, dans une riche histoire.
Belle époque
Le cabaret est fondé en 1889 par Joseph Oller et Charles Zidler. Son architecture reprend les codes des moulins qui parsemaient la butte Montmartre. La décoration est un mélange du japonisme alors en vogue et d’excentricités, comme cette statue géante d’éléphant en stuc qui disparaîtra plus tard. Le succès est immédiat. Le lieu attire un public populo comme aristo embarqué dans une tournée des grands-ducs. On y vient pour boire, rire, s’encanailler. Joseph Pujol, dit « le Pétomane », enchante les spectateurs avec ses concerts de flatulences. Le duo comique Foottit et Chocolat, ce dernier un Noir souffre-douleur du premier, y fait un triomphe. On y pratique également une forme de danse née en Angleterre et baptisée « french cancan ». Le ballet des jupons et des jambes en l’air, jarretelles bien en évidence, attire d’emblée les foules.
Froufrous affriolants
Parmi les danseuses, Louise Weber se taille au Moulin-Rouge un surnom, « la Goulue », pour sa propension à vider les verres des clients. Elle s’est également donné comme spécialité de faire sauter les chapeaux haut-de-forme des messieurs avec son pied. Habitué du cabaret, Henri Toulouse-Lautrec peint la danseuse dans ses affiches et tableaux, en même temps qu’il immortalise l’ambiance du Moulin-Rouge. Ont aussi marqué les lieux les danseuses « Môme Fromage », « Grille d’égout », « Jane la Folle », « Nini Patte-en-l’air », « Rayon d’or ». La chanteuse Yvette Guilbert s’y fait un nom. Le contorsionniste « Valentin le Désossé » y fait admirer sa souplesse. En 1893, une Cléopâtre entièrement nue provoque un délicieux scandale. L’opérette y règne bientôt en maître, Mistinguett y triomphe. En 1915, le cabaret brûle entièrement puis renaît de ses cendres, agrandi.
Il vous reste 26.13% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.