Au Soudan, le corps des femmes est devenu un champ de bataille, le viol une « tactique de guerre »

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Elles se tiennent en rang serré, enveloppées d’abayas noires et de foulards émeraude. Un drapeau soudanais à moitié déchiré flotte au-dessus de leurs têtes, dans la cour d’une école primaire pour filles convertie en centre d’entraînement pour aspirantes soldates. Sur la terre battue du camp de Hay El-Shati, à Omdourman, une centaine de femmes apprennent la discipline militaire, le maniement des armes, le karaté et le tir.

Pendant un entraînement au camp de Hay El-Shati, à Omdourman, le 28 octobre 2024.

Elles s’entraînent cinq fois par semaine, trois heures par jour, sous la supervision d’officiers retraités ayant repris du service avec la guerre qui déchire le Soudan depuis le 15 avril 2023. Celle-ci oppose les forces armées du Soudan (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ». A travers les zones contrôlées par l’armée régulière, des dizaines de centres de formation de ce genre ont vu le jour et des milliers de recrues féminines, appelées « mustanfeerat », ont répondu à l’appel.

« J’espère qu’ils vont m’envoyer en première ligne. Je suis prête à donner mon âme pour la patrie », lance avec un regard de défi Rana Othman, une ancienne enseignante de 42 ans. En réalité, les chances que ces femmes rejoignent le champ de bataille sont infimes. A l’issue de leur formation, elles ne seront pas armées. Au mieux, certaines peuvent espérer rejoindre l’administration militaire comme officières de communication ou infirmières. Les nombreux panneaux sur le bord des routes qui les incitent à s’engager en témoignent : le recrutement de plus en plus de Soudanaises au sein des FAS sert la propagande plus que l’effort de guerre. Néanmoins, chacune ici affirme être venue de son plein gré.

Pendant un entraînement au camp de Hay El-Shati, à Omdourman, le 28 octobre 2024.

Dans la cour d’école, le régiment, composé de femmes âgées de 18 à 60 ans, entonne en chœur l’hymne national. Pour la plupart d’entre elles, ces entraînements représentent surtout un moyen de se protéger. « On apprend à se défendre. On gagne en confiance en soi, et puis on se retrouve entre sœurs au moment où les Soudanaises subissent un enfer », explique Riham El-Hadi, l’une des benjamines. « Nous sommes devenues des cibles. Nous ne voulons plus vivre dans la peur », poursuit cette lycéenne de 18 ans, mascara et gloss sur les lèvres.

Lire l’épisode 1 de notre série | Article réservé à nos abonnés Guerre au Soudan : à Khartoum, capitale dévastée, la mort frappe à chaque coin de rue

Elles sont unanimes : la guerre qui dure depuis dix-huit mois les fait se sentir plus vulnérables que jamais face à une explosion des violences sexistes et sexuelles commises par les deux camps. Les cas de harcèlement, de viols (parfois collectifs), de mariages forcés, d’enlèvements, d’esclavage sexuel et autres sévices se multiplient. Dans un rapport publié le 23 octobre par des experts des Nations unies, les FSR sont tenues responsables de la plupart des exactions commises.

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