Professeure de science politique au département d’études japonaises de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), dont elle est codirectrice, Guibourg Delamotte est chercheuse à l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est (rattaché à l’Inalco). Elle est par ailleurs enseignante à Sciences Po Paris et chercheuse au Research Center for Advanced Science and Technology de l’université de Tokyo. Son dernier ouvrage, Le Japon. Un leader discret, a été publié chez Eyrolles en 2023.
Vous rentrez d’un séjour au Japon et en Australie : quelle vision ces deux pays ont-ils du Sud global ?
La notion de Sud global est floue. En dépit de son nom, elle ne renvoie pas à une région géographique, mais à des pays dont les structures socio-économiques ont hérité du colonialisme. Elle rassemble donc un ensemble hétéroclite de nations en situation de précarité ou émergentes, intégrées à l’économie mondiale. Leur point commun semble être une mémoire du colonialisme – qui se traduit par un rejet de l’Occident en tant que modèle et se conjugue à une volonté de ne pas se laisser entraîner dans les affrontements opposant les Etats-Unis et leurs alliés à la Chine ou à la Russie –, bien que Pékin revendique aussi faire partie du Sud global.
Cette neutralité supposée a en fait joué en faveur de Moscou, en affaiblissant l’efficacité des sanctions économiques adoptées contre la Russie. Mais on peut aussi souligner ce qu’avait de présomptueux ou d’hypocrite la stratégie occidentale : l’Occident, qui ne pèse plus que 40 % du PIB [produit intérieur brut] mondial, peut-il prétendre sérieusement faire plier la Russie sans rallier à sa cause davantage de soutien ? Le Sud global a pour porte-étendards la Chine et l’Inde. En septembre 2023, devant l’Assemblée générale des Nations unies, le vice-président chinois, Han Zheng, a ainsi déclaré que son pays s’identifiait aux objectifs et aux défis des pays les moins développés et qu’il leur offrait une alternative à l’« hégémonie de l’Occident ».
Au sein du camp occidental, le Japon et l’Australie ont un contact souvent plus facile avec le Sud global : ils ne sont pas l’objet de la même appréhension de la part de ces non-alignés « nouvelle formule ». Tous deux ont certes un lourd passé colonial dans la région, mais ce n’est pas le cas ailleurs ou alors à une moindre échelle : l’Inde, l’Arabie saoudite ou le Brésil, par exemple, n’ont pas de contentieux historique avec le Japon ou avec l’Australie. L’Asie du Sud-Est pourrait en avoir avec le Japon, comme avec l’Australie (en Papouasie-Nouvelle-Guinée, par exemple), mais les ambitions hégémoniques de la Chine – conjuguées à des facteurs politiques internes à ces pays – contrebalancent ces considérations.
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