Au Royaume-Uni, sur les routes d’un pays en panne

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Comment ne pas tomber amoureux de ce pays ? Nous sommes le 1er juin, il fait 17 degrés, un vent glacial souffle avec ténacité et la foule n’en a cure. Aujourd’hui est jour de courses hippiques et, dans les tribunes d’honneur, il faut s’habiller pour l’occasion : hauts-de-forme et redingotes pour ces messieurs, robes de gala et chapeaux avec voilette pour ces dames. Les talons hauts rendent la déambulation sur l’herbe le long de la piste particulièrement périlleuse et comique. Les trois bouteilles de champagne, à 123 livres pièce (146 euros), posées dans des bacs à glace à côté de Mary-Jane Forster et ses amis n’aident guère à marcher droit.

Il est 13 heures, les Anglais sont bien décidés à faire la fête pour le grand Derby annuel de l’hippodrome d’Epsom Downs, à une petite heure au sud de Londres. La veille, le roi Charles III a honoré les lieux de sa présence. A quelques téléphones portables près, la scène n’a guère changé depuis l’époque victorienne. La haute bourgeoisie s’amuse d’événements mondains en événements mondains le temps de cette « saison sociale », qui démarre en avril avec les courses d’aviron entre Oxford et Cambridge et se termine en août avec les régates de Cowes, sur la côte sud de l’Angleterre.

L’autodérision remarquable des Britanniques, qui prennent très au sérieux l’absence de sérieux, rend tout cela très sympathique. L’ambiance festive cache pourtant mal une humeur maussade. « Le pays va mal, les gens sont moroses, divisés », estime Mary-Jane Forster, 36 ans, son chapeau blanc en équilibre précaire sur la tête. « Regardez ça, s’exaspère son mari, Shane Harries, qui vient d’Afrique du Sud. C’est amusant mais qu’est-ce que c’est pompeux. Colonial même ! » Chapeau blanc à voilette et énormes bagues aux doigts, Jane Kimber n’en revient pas de son audace en déclarant, à près de 80 ans : « Ma mère s’en retournerait dans sa tombe, mais, pour la première fois, je ne voterai pas conservateur. » Des élections législatives anticipées se déroulent le 4 juillet et les sondages annoncent une déroute des tories, au pouvoir depuis quatorze ans.

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En traversant l’hippodrome sur quelques centaines de mètres, on atteint The Hill, une petite colline d’où on peut voir au loin la course hippique. Contrairement aux tribunes d’honneur, l’endroit est gratuit, c’est le lieu des classes populaires. Ici, la musique techno résonne à fond entre les installations d’une fête foraine. Des adolescentes en tenue trop courte tirent désespérément sur leurs minijupes, frissonnant malgré l’alcool qui coule à flots.

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