Au procès de Peter Cherif, l’accusé reconnaît avoir servi de « traducteur » pendant la prise en otage de trois humanitaires français par Al-Qaida au Yémen

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Sefen Guez Guez, avocat du Français Peter Cherif, lors du procès de son client devant la cour d’assises spéciale de Paris, le 16 septembre 2024.

« Je ne répondrai pas à votre question. » Cette phrase, répétée des dizaines de fois comme un mantra, avait permis à Peter Cherif de traverser la première semaine de son procès sans s’exprimer sur les faits qui lui étaient reprochés : son rôle dans le recrutement par Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) de son ami Chérif Kouachi pour commettre un attentat contre Charlie Hebdo.

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Mardi 24 septembre, la cour d’assises spéciale de Paris se penchait sur le deuxième volet de ce procès : son implication dans le gardiennage de trois humanitaires français enlevés au Yémen par AQPA, qu’il a toujours nié. Et, contre toute attente, Peter Cherif a reconnu les faits.

Le 28 mai 2011, trois Français travaillant pour l’ONG Triangle Génération humanitaire, qui menait des projets d’irrigation au Yémen, avaient été kidnappés pendant près de six mois. Après leur libération, ils avaient déclaré qu’un « traducteur », qu’ils surnommaient « le Français », avait fait office d’interprète durant leur détention. Ce dernier avait le visage masqué par un chèche, mais plusieurs éléments indiquaient qu’il pouvait s’agir de Peter Cherif, qui se trouvait être le seul membre français d’AQPA au Yémen.

« C’était clairement cette voix »

Amélie M., 45 ans, est aujourd’hui assistante maternelle. Elle est la première des trois ex-otages à témoigner. « Je suis venue au Yémen comme humanitaire, c’était un projet de vie depuis l’adolescence, car j’avais pris conscience très tôt des choses qui n’allaient pas dans le monde », commence-t-elle.

Tandis qu’elle rentre un jour à son domicile avec ses deux collègues français, les trois humanitaires sont enlevés par un groupe d’hommes armés et sont conduits dans une « grotte » au milieu du désert. Commence alors un long calvaire, fait de privations, d’angoisse et de nuits passées les chaînes aux pieds.

« Nous n’étions pas maltraités », précise-t-elle. Mais la jeune femme souffre de ne pouvoir donner signe de vie à ses proches et de ce sentiment permanent « d’être une marchandise, de n’être rien ».

« Que pouvez-vous nous dire sur le traducteur ? », lui demande la présidente, Frédérique Aline. « J’ai eu la joie d’entendre sa parole hier, à l’audience, et j’ai eu le sentiment que c’était clairement cette voix qui était présente lors de ma captivité », répond l’ancienne prisonnière.

« Je suis ce traducteur »

La présidente se tourne alors vers l’accusé : « Mme M. vous désigne aujourd’hui comme cette voix. Souhaitez-vous réagir ? » Peter Cherif a passé l’essentiel de son procès à faire usage de son droit au silence. Aussi s’attendait-on à ce qu’il fasse de même, quand d’une voix à peine audible il a dit : « Je suis ce traducteur. » Puis il s’est lancé dans un long monologue : « Son témoignage est conforme à ce que j’ai pu constater. Néanmoins, le rôle que j’avais n’était pas simplement ce qu’elle en a perçu. J’étais le traducteur, mais je n’étais pas au courant que des humanitaires avaient été enlevés. J’ai été appelé par le cheikh responsable de leur enlèvement et il m’a demandé de traduire et de rester auprès d’eux pour répondre aux besoins de leur captivité. J’ai été mis au pied du mur… Malgré l’idéologie qui était la mienne à l’époque, ma conscience m’interdisait que leur soit fait du mal. J’étais très gêné de ce qu’on me demandait de faire. »

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