Au Mexique, l’enfer des « mères chercheuses » de Salamanque

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L’« arbre de l’espoir » à Salamanque (Mexique), où les familles des disparus accrochent des photos de leurs proches, le 19 janvier 2024.

Après plus de cinq ans passés à chercher son frère disparu, Lorenza Cano a vu l’horreur s’abattre sur elle. Dans la nuit du 15 au 16 janvier, un groupe d’hommes armés a pénétré dans sa maison de Salamanque, une ville située dans l’Etat du Guanajuato, dans le centre du Mexique. Ils ont assassiné son mari et son fils, puis ils ont enlevé cette femme de 55 ans. Elle est désormais portée disparue, comme le sont au moins 132 personnes à Salamanque, 4 000 au Guanajuato, et plus de 114 000 dans le pays.

Au milieu de cette tragédie, produit de la « guerre contre le narcotrafic » qui a causé plus de 450 000 morts au Mexique depuis 2006, la disparition de Lorenza Cano a provoqué une vague d’indignation : Amnesty International a exigé sa libération et le Comité des disparitions forcées de l’ONU a requis des « actions urgentes » pour que l’Etat présente des résultats.

La militante fait partie des milliers de « mères chercheuses » du Mexique, des femmes qui sont devenues enquêtrices pour pallier un Etat incapable d’endiguer l’augmentation des disparitions et de trouver leurs victimes. Elles font le tour des morgues et des fosses communes, exigent des comptes des autorités et ratissent collines et terrains vagues dans l’espoir d’y découvrir des cimetières clandestins. Elles y déterrent des ossements, des membres amputés ou des corps mutilés en état de putréfaction, puis les confient aux médecins légistes pour les identifier et les remettre à leurs familles.

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Lorenza Cano a été l’une des premières à rejoindre le collectif Salamanque unie recherchant les disparus, qui compte 260 membres. Alma Lilia Tapia l’a fondé en 2020, après avoir passé deux ans à rechercher son fils, toujours disparu. Elle sait que son corps est enterré quelque part avec 57 autres : elle a reçu l’information par un message anonyme, avec la photographie d’un visage tellement défiguré qu’il était méconnaissable, mais sur lequel elle a identifié les cicatrices qu’il portait sur le menton. L’image a provoqué un « effet horrible ». Son cadet ne s’est jamais remis psychologiquement de la disparition de son frère.

Quand Le Monde la rencontre, jeudi 25 janvier, à la périphérie de Salamanque, la quinquagénaire, ancienne professeure d’éducation physique de lycée, descend d’une camionnette avec trois autres femmes. Elles sont fatiguées et leurs bottes sont blanches de poussière, après une fouille qui n’a pas abouti. Ce jour encore, les 206 personnes recherchées par le collectif resteront dans les limbes. Mais les mères n’abandonnent pas. Elles retrouvent régulièrement des corps, et parfois interviennent à temps pour sauver des vies : elles ont récemment localisé trois adolescentes, kidnappées et promises à des réseaux de traite.

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