Au Maroc, des familles moins grandes et plus urbaines, selon le dernier recensement

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Un couple et son fils près du village d’Amellagou, au Maroc, en septembre 2022.

Le Maroc a gagné 25 millions d’habitants en l’espace de soixante ans. Ils sont désormais près de 37 millions, selon les résultats (partiellement communiqués) du dernier recensement décennal, effectué du 1er au 30 septembre. Si la population française avait progressé à ce rythme, elle aurait dépassé les 140 millions aujourd’hui. Mais aussi spectaculaire soit-il – sans être exceptionnel en Afrique –, le grand saut démographique du Maroc vit son crépuscule.

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C’est l’une des principales confirmations du travail de dénombrement mené par le ministère de l’intérieur et le Haut-Commissariat au plan (HCP) : la population du royaume continue certes d’augmenter, mais au ralenti. Son taux d’accroissement décennal, de 30 % en moyenne entre 1960 et 2000, a fortement décéléré. Divisé par deux dans les années 2000, il stagne à 9 % depuis dix ans. A un rythme annuel, la croissance démographique du Maroc est même passée sous la barre symbolique des 1 %.

Ce coup de frein n’a rien de surprenant. La mortalité poursuit sa baisse, tout comme la natalité. Proche de la fin de sa transition démographique, le Maroc devrait atteindre « sa population stationnaire, estimée à 45 millions d’habitants, vers l’an 2050 », pronostique le HCP. A cette date, son accroissement naturel sera « pratiquement négligeable ».

Exode rural

Comme dans toute l’Afrique du Nord, la population du Maroc vit plus longtemps qu’auparavant – près de 77 ans en moyenne, contre 47 ans en 1960 – et fait moins d’enfants que les générations précédentes. Le taux de fécondité, qui était de 7 enfants par femme au sortir de l’indépendance, frôle à présent le seuil de renouvellement, fixé à 2,1. Les raisons de cette diminution sont légion. Parmi elles, l’urbanisation galopante, la généralisation de la scolarisation, le salariat des femmes… Rien que les sociétés occidentales n’aient pas connu elles aussi.

Mais les transformations au Maroc, amorcées par les changements introduits durant la période coloniale, sont à la fois plus remarquables et brutales, étalées sur une très courte période. L’Institut royal des études stratégiques (IRES), qui s’est appuyé sur la documentation du protectorat français, chiffre la population du pays à 5 millions en 1900 et à 9 millions en 1950 ; soit 4 millions de nouveaux habitants en un demi-siècle, auxquels se sont ajoutés 4 autres millions en seulement douze ans, entre 1952 et 1964.

Conséquence logique de ce boom, le Maroc a très tôt adopté une politique familiale tournée vers la réduction de sa croissance démographique, autorisant dès 1967 la promotion de la contraception, dont le taux de prévalence avoisine actuellement les 70 %. S’y ajoute l’exode rural, qui n’a jamais pu être contenu. Avec lui, le recul de l’agriculture traditionnelle a contribué à désagréger un système familial jusqu’alors « basé sur l’indivision et l’autosubsistance », souligne le HCP. Un tiers des habitants vivent toujours dans les campagnes.

En pleine mutation, l’institution familiale n’est plus ce qu’elle était. Les ménages ont rapetissé : leur taille moyenne descend pour la première fois sous les quatre personnes. Le modèle du foyer accueillant plusieurs générations tend à disparaître. Parmi les symboles de ce bouleversement, le sociologue Mehdi Alioua en relève un en particulier : l’introduction de la « chambre parentale », synonyme d’intimité dans un pays où la notion de famille élargie vivant sous un même toit a longtemps prévalu.

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A cette nucléarisation des ménages répond la montée de la population urbaine. Avec un bémol dans les très grandes villes, où la vie chère et les conditions d’existence, plus difficiles, remarquent les chercheurs, poussent les habitants à rejoindre les périphéries. A une allure plus rapide, Casablanca et Rabat continuent de perdre des résidents.

Zone d’ombre

Il convient d’évaluer les effets des réponses institutionnelles de ces dernières années sur la démographie du Maroc. Promulgué en 2004, le code de la famille, alors qualifié de « révolutionnaire » par les cercles féministes, devait, selon le HCP, jouer « un rôle régulateur pour agencer les avancées sociétales illustrées par les dynamiques familiales ».

Sans doute ce texte, qui devait consacrer une plus grande égalité entre les sexes, a-t-il contribué à l’émancipation des femmes, mais leur taux d’activité a chuté de 28 % en 2000 à 19 % en 2023. L’amélioration de leur statut économique est de toute évidence un échec. « Elles ne peuvent pas travailler à n’importe quel coût. Quelqu’un doit s’occuper des enfants, du ménage. Or l’Etat n’a rien préparé pour ça. Ces questions auraient pourtant dû être réglées depuis longtemps », estime la socio-économiste Samira Mizbar.

Autre raté : l’affaiblissement de la natalité n’a pas conduit – ou si peu – à récolter les bénéfices du dividende démographique, que le HCP identifiait en 2012 comme une « opportunité » pour l’économie marocaine. Ce phénomène bien connu, censé se produire lorsque le ratio de la population active par rapport au nombre de personnes à charge s’accroît, entraînant une chute des taux de dépendance, n’a pas été soutenu par des politiques publiques adaptées. Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), quelque 4,3 millions des 15-35 ans étaient sans éducation, ni emploi, ni formation en 2022.

La recherche démographique au Maroc est de plus en plus fine, les problématiques sont documentées, les rapports détaillés se succèdent, mais l’exécutif ne semble pas avoir mesuré l’urgence des mesures à prendre, préviennent des experts.

Les données sur la part des étrangers qui y résident montrent aussi que le Maroc n’est plus seulement un pays de transit. Ils sont près de 150 000, en hausse de 70 % environ depuis dix ans. Un chiffre probablement en dessous de la réalité, observent des analystes, qui pointent la possible défiance suscitée par le déploiement des agents de l’Etat pour ce recensement. Pour autant, le royaume n’est pas une terre d’immigration. Mais les conditions pour rejoindre l’Europe depuis l’Afrique s’étant considérablement durcies, il accueille un nombre croissant d’étudiants subsahariens. Les retraités et les travailleurs européens, attirés par un quotidien supposé moins cher que chez eux, y sont plus nombreux également.

Reste une zone d’ombre, que des informations plus complètes (qui seront livrées prochainement) devraient permettre d’éclaircir. Dans ses prévisions pour 2025, le HCP avait tablé sur une population de 39 millions d’habitants. Où sont passés les 2 millions manquants ? Samira Mizbar s’interroge : « Soit l’abaissement du taux de fécondité a été plus fort que prévu, soit l’émigration a été sous-évaluée. »



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