Arrêtés en janvier, onze journalistes kirghiz ont reçu leur verdict, jeudi 10 octobre, au tribunal de Bichkek. Si sept d’entre eux ont été acquittés, deux ont été condamnés à six et cinq ans de prison, et deux autres à trois années de probation pour « appels à des émeutes massives ». « Je ne m’attendais pas à ce que les peines soient si sévères », a déclaré Ulan Seiitbekov, l’avocat de quatre des journalistes, qui va faire appel. Ce verdict signe une nouvelle attaque contre la liberté de la presse dans ce pays d’Asie centrale de 7 millions d’habitants, qui apparaissait ces deux dernières décennies comme le moins autoritaire de la région.
La dizaine de journalistes accusés travaillait pour un média figurant de longue date dans le viseur des autorités : Temirov Live, une chaîne YouTube d’investigation spécialisée sur les liens de corruption au sein de l’élite kirghize, et sa chaîne partenaire Aït Aït Desse (« Dis-le, dis-le », en kirghiz). Son fondateur, Bolot Temirov, avait été expulsé du Kirghizistan en 2022, après des mois de harcèlement judiciaire pour ses enquêtes mettant au jour la corruption entre les proches du président Sadyr Japarov et le puissant chef des services secrets du pays, Kamtchybek Tachiev.
Directrice de la chaîne et épouse de Bolot Temirov, Makhabat Tajibek Kyzy a écopé de la plus lourde peine – six ans de prison – parmi les quatre journalistes jugés coupables. A ses côtés, Azamat Ishenbekov, condamné à cinq ans de détention, est un « akyn » [conteur kirghiz traditionnel], qui figure dans une des vidéos jugées, selon les experts de la Cour, comme incitant à la désobéissance civile. « Ils veulent définitivement nous faire taire », affirme Bolot Temirov, au téléphone, depuis un lieu tenu secret en Europe, assurant qu’il poursuivra ses enquêtes de corruption au sommet de l’Etat kirghiz.
« Une vraie pression »
Le président Sadyr Japarov, au pouvoir depuis 2020, dément toute atteinte au droit d’informer. « La liberté d’expression existe au Kirghizistan. Elle a toujours existé et existera pour toujours », a-t-il déclaré lors d’un entretien à l’agence de presse étatique Khabar, le 28 septembre. « Quant aux onze journalistes, seuls deux d’entre eux sont réellement journalistes », a estimé le chef d’Etat.
Quelques semaines auparavant, M. Japarov avait également critiqué les journalistes du média d’investigation Kloop pour leurs « enquêtes unilatérales » avec « partialité, calomnie, hostilité et intérêt personnel » – sans autre précision. Ce média progressiste, fondé en 2007 et réputé en Asie centrale, a été contraint de liquider une partie de ses fonds après une décision de justice en février. Et comme pour la rédaction de Temirov Live, les ennuis judiciaires de Kloop coïncident avec la publication d’une enquête embarrassante pour les proches du président et de Kamtchybek Tachiev, concernant le financement d’une académie de football dans le sud du pays.
Il vous reste 40.15% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.