Au Kirghizistan, la condamnation de journalistes et militants anticorruption confirme le tournant autoritaire du régime

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Une manifestation de soutien au journaliste Bolot Temirov à Bichkek (Kirghizistan), en janvier 2022.

Un tribunal a condamné, jeudi 10 octobre, quatre journalistes et contributeurs de Temirov Live, l’un des derniers médias indépendants du Kirghizistan, pour « incitation à des troubles de masse ». Un verdict qui confirme le recul des libertés publiques dans ce pays autrefois considéré comme un îlot démocratique en Asie centrale.

Onze personnalités gravitant de près ou de loin autour de cette rédaction, dont les enquêtes vidéos ont levé le voile sur la corruption des élites dirigeantes du régime, comparaissaient devant le tribunal, neuf mois après leur arrestation soudaine par la police. Le 2 octobre, l’ONG Amnesty International avait réclamé l’abandon des poursuites, estimant que « ces accusations [n’étaient] rien d’autre qu’une tentative politiquement motivée d’étouffer la liberté d’expression et de punir les journalistes pour leur travail ».

Aux yeux des observateurs, cette vague d’arrestations participait d’une campagne d’intimidation dirigée contre le fondateur du média, Bolot Temirov. Bête noire du régime, le journaliste est aujourd’hui en exil dans un lieu tenu secret en Europe, après avoir été privé de sa citoyenneté et expulsé du pays.

« Une dérive vers l’autoritarisme »

Son épouse, la journaliste et militante Makhabat Tazhibek Kyzy, a été condamnée, jeudi, à six ans de prison, notamment pour avoir dénoncé dans une vidéo la corruption des autorités « en place depuis trente ans ». La justice a décidé de placer leur fils de onze ans en orphelinat le temps qu’elle purge sa peine.

Le poète et rappeur Azamat Ishenbekov, qui relayait les révélations de Temirov Live dans ses chansons, a été condamné à cinq ans de prison. Deux autres journalistes, Aktilek Kaparov et Aike Beishekeyeva, ont été libérés à la faveur d’une condamnation avec sursis, tandis que les sept autres prévenus, assignés à résidence depuis plusieurs mois, ont été acquittés.

« C’est un tournant critique pour la presse indépendante au Kirghizistan », réagit Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières (RSF), qui y voit « une dérive flagrante du pouvoir kirghize vers l’autoritarisme ». « Ce verdict n’est pas surprenant compte tenu de la trajectoire du Kirghizistan au cours des dernières années, mais il est extrêmement décevant car le public kirghiz est privé d’informations véridiques et le journalisme est criminalisé », déclare Drew Sullivan, le directeur éditorial de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, un consortium de journalistes d’investigation dont Temirov Live est partenaire.

Le Kirghizistan disposait jusqu’à récemment d’une scène médiatique et d’une société civile vigoureuses. Mais l’étau s’est resserré depuis quelques années sous la houlette de son président, Sadyr Japarov, qui allie une rhétorique populiste à des méthodes de contrôle évoquant la Russie de Vladimir Poutine. En février, la justice avait déjà ordonné la fermeture d’un autre média indépendant, Kloop, alors que le pays avait perdu, l’année précédente, cinquante places dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF. Le pays s’apprête, aussi, à alourdir la loi sur la diffamation, pour punir sévèrement les auteurs d’« insultes » et de « fausses informations ».

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