Comme le veut la tradition japonaise, bien différente de celle qui prévaut en France, Shigeru Ishiba, le premier ministre nippon, a présenté ses excuses pour sa défaite. Il a reconnu la défiance et la colère de ses concitoyens, mais a exclu de démissionner. Pourtant, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
A peine arrivé à son poste, le 1er octobre, il a décidé de provoquer des élections législatives pour consolider sa majorité. Las, comme dans l’Hexagone, c’est le contraire qui s’est produit. Pour la première fois depuis l’après-guerre, à l’exception d’un bref épisode entre 2009 et 2012, le Parti libéral-démocrate perd sa majorité au Parlement. Une nouvelle ère s’ouvre sur l’archipel.
La colère et la défiance trouvent leur source dans un récent scandale financier, un de plus, mais aussi, plus prosaïquement, dans un contexte inédit au Japon depuis trente ans : le retour de l’inflation. Shigeru Ishiba a aussi perdu pour… un plat de nouilles. Deux reporters de l’agence Reuters racontent l’inquiétude de Taisei Hikage, qui tient l’une de ces petites échoppes de rue, si fréquentes à Tokyo, spécialisées dans les pâtes ramen.
Faiblesse monétaire
Ces nouilles de blé originaires de Chine et servies d’innombrables manières sont très populaires au Japon. Ce serait même le plat préféré du premier ministre. Depuis l’ouverture de son restaurant, il y a un an et demi, M. Hikage a dû en augmenter trois fois le prix. Son « spécial ramen » a augmenté de près de 50 % depuis qu’il s’est installé. Incroyable, dans un pays qui se lamente depuis trois décennies de la déflation qui bride son économie et conduit l’Etat à s’endetter toujours plus pour la soutenir.
Depuis le déclenchement de la lointaine guerre en Ukraine, en février 2022, tout a changé. Avec, notamment, l’envolée des prix de l’énergie, la hausse de ceux des matières premières – comme le blé – et même des salaires. De plus, la devise nationale, le yen, a dévissé, à son plus bas niveau par rapport au dollar depuis trente-quatre ans. Résultat : la poussée des prix est renforcée par cette faiblesse monétaire quand les biens tels que la farine ou le blé sont importés. L’inflation au Japon dépasse maintenant 2 % (2,4 % en septembre), soit plus qu’en France.
Derrière cette mauvaise nouvelle pour les amateurs de nouilles se profile un changement d’époque qui n’est pas forcément négatif pour le pays. Comme le soulignent les analystes de la Société générale, « l’inflation s’ancre dans l’économie japonaise ». Cela rend les produits plus chers, provoque des faillites en forte augmentation – et pas seulement chez les restaurateurs –, mais les salaires repartent à la hausse et les économistes espèrent une réduction de l’épargne et une relance de l’investissement pour redynamiser l’activité. De quoi contribuer à ce que la facture des ramens soit moins amère.