Après des années de brouille, les retrouvailles du Gabon et du Congo sur la tombe d’Edith Bongo

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A gauche, le président de transition gabonais, Brice Oligui Nguema. A droite, le président congolais, Denis Sassou Nguesso.

Comme chaque année, Oyo, petite ville de 5 000 habitants, située à 400 km de Brazzaville et fief de la famille présidentielle congolaise, a commémoré, le 14 mars, la mort en 2009 à Rabat de l’ancienne première dame du Gabon et fille de l’actuel président de la République du Congo, Edith Bongo, née Sassou Nguesso. Des dizaines d’officiels ont répondu présents à l’invitation du père de la défunte, Denis Sassou Nguesso, mais c’est la venue du nouvel homme fort de Libreville, Brice Oligui Nguema, qui a particulièrement retenu l’attention.

Accompagné de son épouse, Zita, et main dans la main avec Denis Sassou Nguesso, le général a participé au dépôt de la gerbe de fleurs dans le mausolée d’Edith Bongo. Jamais depuis la mort de l’ancien président Omar Bongo, il y a quinze ans, un représentant de l’Etat gabonais ne s’était rendu à la cérémonie, les relations entre les clans Sassou et Bongo n’ayant cessé de se détériorer, surtout après qu’Ali Bongo, fils d’Omar et de sa première femme, Patience Dabany, a accédé au pouvoir à Libreville.

Tapis rouge

Mais la chute de la dynastie Bongo suite au putsch du 30 août 2023 a rapproché les deux pays. Une première rencontre entre Brice Oligui Nguema et Denis Sassou Nguesso avait eu lieu le 1er octobre. Elle avait également pris place autour de la tombe d’Edith Bongo, que le putschiste avait « fréquentée et servie longtemps » en tant qu’aide de camp personnel de l’ancien président gabonais, rappelle Anicet Bongo, frère cadet d’Ali, proche du pouvoir congolais.

Lors de ce premier séjour à Oyo, Denis Sassou Nguesso avait déroulé le tapis rouge à Brice Oligui Nguema. Ce dernier était venu chercher l’adoubement de son homologue, afin notamment de réintégrer la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), dont son pays avait été exclu après le coup d’Etat.

Cinq mois plus tard, et alors que le retour du Gabon dans la CEEAC a été signé le 9 mars, les liens naissants entre les deux pouvoirs n’échappent pas à quelques tensions, révèle le média Africa Intelligence, selon lequel Denis Sassou Nguesso n’a pas apprécié que Brice Oligui Nguema prévoie de s’installer dans les appartements privés de l’ancien président Omar Bongo, au cinquième étage du palais du Bord de mer. Un différend minime par rapport à ceux qui ont opposé les familles Bongo et Sassou au fil des mandats d’Ali Bongo.

A commencer par ceux autour de la succession de Bongo père, mort en 2009. Denis Sassou Nguesso, qui considérait ce dernier comme « un frère », ne digère pas le fait que ses petits-enfants, Omar Denis Junior et Yacine (issus du mariage entre Edith et Omar Bongo), ne figurent pas sur le testament laissé par leur père. D’après le document, seuls Ali et son aînée, Pascaline, sont légataires universels, héritant d’un patrimoine estimé à plusieurs centaines de millions d’euros, tandis que les autres héritiers bénéficient, comme maigre lot de consolation, d’une allocation versée par l’Etat… et supprimée en 2012 par Ali Bongo.

« Volonté de nuire »

Après cet épisode, la querelle s’est amplifiée entre Denis Sassou Nguesso et Ali Bongo, effaçant cinquante années d’étroites relations entre Bongo père et le dirigeant congolais, devenus amis quand ce dernier était encore le collaborateur du président Joachim Yhomby-Opango (1977-1979). « Ali éprouve une haine contre Sassou », affirme Anicet Bongo qui affirme que l’ancien président « avait la volonté de nuire » au Congo voisin, avec qui le Gabon partage plus de 2 000 km de frontière. Un ressentiment qui s’est accentué en 2016 à l’approche de l’élection présidentielle, selon un ancien membre du Parti démocratique gabonais (PDG) proche d’Ali Bongo.

Candidat à sa réélection, Bongo fils accuse alors Denis Sassou Nguesso de financer l’opposition gabonaise. Le président congolais apparaît effectivement comme le principal soutien financier de l’opposant Jean Ping, que des liens de parenté unissent à la famille présidentielle congolaise. La belle-fille de Jean Ping (mariée à son fils Franck) est la sœur de celle de Denis Sassou Nguesso (mariée à son fils Denis Christel). Et sur l’arbre généalogique du président congolais apparaît également Alexandre Barro Chambrier, figure emblématique de l’opposition au Gabon depuis 2016, marié à la cousine de la première dame Antoinette Sassou Nguesso.

Selon l’ancien membre du PDG, les attaches du président congolais avec l’opposition gabonaise depuis plus de huit ans ont justement permis son rapprochement avec le général putschiste : « Même si Denis Sassou Nguesso a d’abord condamné le putsch, il va de soi qu’il ne regrette pas le départ d’Ali Bongo », estime-t-il.

D’autant que le président congolais et le nouveau chef du Gabon partagent des histoires similaires avec l’ancienne famille présidentielle gabonaise. Brice Oligui Nguema, très proche d’Omar Bongo, a été écarté à l’arrivée d’Ali au pouvoir. Sous la tutelle du père, le militaire était destiné à monter les échelons rapidement. Mais à la mort de son mentor, il a été exilé comme attaché aux ambassades du Gabon au Maroc et au Sénégal. Il lui aura fallu attendre dix ans avant de revenir en grâce et de rentrer au pays pour diriger les services spéciaux. Si bien qu’aujourd’hui, la politique de réconciliation qu’il mène avec Brazzaville sonne comme une revanche de plus sur Ali Bongo.

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