Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-XIII, Ivan Jablonka a retracé l’histoire d’un féminicide dans Laëtitia ou la Fin des hommes (Seuil, 2016), avant d’explorer de nouveaux modèles de masculinités (Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Seuil, 2019) et d’analyser la socialisation des garçons dans Un garçon comme vous et moi (Seuil, 2021).
D’où vient l’expression « théorie du genre » utilisée par les politiques qui critiquent le nouveau programme d’éducation à la vie affective et sexuelle ?
Le genre est un outil couramment employé dans les sciences sociales. Depuis les travaux de Simone de Beauvoir et d’Ann Oakley, on distingue le sexe et le genre, c’est-à-dire d’un côté les phénomènes biologiques et de l’autre les rôles socioculturels qu’une société propose à ses membres en fonction de leur sexe – donner, par exemple, la possibilité aux hommes d’être plus libres, d’avoir une parole d’autorité, de créer, alors que les femmes seront renvoyées dans leur foyer pour prendre soin de la famille. La notion de genre est donc aussi utile que celle de classe sociale, et elle ne fait pas débat dans les milieux de la recherche.
En revanche, prétendre qu’il y aurait une « théorie du genre » est une manière de délégitimer cette distinction. Cette posture s’accompagne de délires sur la prétendue fin de la différence entre les sexes, la « promotion » de l’homosexualité et des transitions de genre, que sais-je encore. L’expression est une bannière politique utilisée par la droite conservatrice et catholique, ainsi que par l’extrême droite, dans le but de faire barrage aux évolutions qui ont transformé notre société depuis plus d’un demi-siècle. Elle fait partie de l’arsenal d’une contre-offensive idéologique.
Comment expliquer la résurgence de cette opposition, alors que dans les enquêtes d’opinion, la majorité des Français se disent satisfaits de ces évolutions ?
Ces changements et les droits qui y sont associés sont en effet acceptés par le plus grand nombre. Depuis les années 1960, notre société a connu des évolutions décisives en matière de sexualité, d’identité sexuelle et de modèles familiaux. Quand j’étais adolescent, des mots comme « genre », « consentement » ou « choix de sexualité » n’avaient pas cours, et cela rendait les existences plus douloureuses.
Aujourd’hui, de nouveaux droits sont devenus centraux : le droit d’aimer la personne que l’on veut, d’adhérer à la sexualité qui convient à chacun et chacune, d’être respecté dans son corps, de faire famille en vivant seule ou avec une personne du même sexe. Cette révolution politique et morale a permis une forme de libération et, de ce point de vue, l’époque est passionnante.
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