A Melun, des détenus s’évadent dans le ­code informatique

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Bruno, ancien détenu, qui a travaillé sur Victor IA, et espère intégrer l’Ecole 42, spécialisée en informatique. Ici, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 19 novembre 2024.

Dans un ancien commissariat d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, ce 30 octobre, une dizaine d’hommes, assis autour d’une table ovale, pianotent sur des claviers d’ordinateur. Mugs colorés, doubles écrans et paperboard donnent à la pièce les airs d’une start-up comme une autre. Le local est en réalité occupé par l’association L’Ilot, spécialisée dans la réinsertion professionnelle.

C’est là que d’anciens prisonniers du centre de détention de Melun (Seine-et-Marne) ont programmé une intelligence artificielle générative, nommée Victor IA, en clin d’œil à Victor Hugo. Gratuite et accessible à tous, elle génère des lettres de motivation sur mesure pour les demandeurs d’emploi. La partie visible (front end) de l’interface a été réalisée par deux prisonniers incarcérés. Et ce sans l’aide d’Internet, dont l’accès est interdit en prison. Trois ex-­détenus de la maison d’arrêt ont pris le relais et ­programmé la partie invisible (back end) de l’intelligence ­artificielle à Aubervilliers.

Bruno (le prénom a été modifié), 33 ans, est l’un des développeurs. Purgeant une peine de quatre ans, il a découvert par hasard l’existence d’une formation d’apprentissage au codage. L’activité est stimulante, créative. « Cela me permettait de penser à autre chose. Je m’évadais par le code », se remémore-t-il, les yeux pétillants.

Coder est une activité peu courante en milieu carcéral. « En général, on nous propose des tâches répétitives, qui consistent à retenir un processus et à le reproduire. Comme faire le ménage ou travailler dans l’imprimerie. Bref, des métiers qui ne vendent pas du rêve », remarque-t-il. Cette qualification lui laisse par ailleurs espérer davantage de débouchés sur le marché du travail : à leur sortie de prison, l’association CodePhenix, à l’origine de la formation initiale, propose des missions rémunérées aux détenus formés. Ironie du sort, certains ont codé le site du ministère de la justice.

Des lettres de motivation « bluffantes »

Libéré en janvier, Bruno planche donc sur Victor IA, dont le projet a été confié aux deux associations d’aide à la réinsertion par le cabinet de conseil en intelligence artificielle Artefact. Assis sur son fauteuil de bureau, le jeune homme parle avec fierté de cette « intelligence artificielle sociale ». « L’objectif, explique-t-il, est ­d’aider les demandeurs d’emploi en difficulté et les anciens détenus à écrire des lettres de motivation personnalisées, et sans fautes d’orthographe ». Age, sexe, expérience, atouts : le contenu de la lettre est récolté par le biais d’un QCM. « Chaque réponse est enregistrée, puis envoyée à OpenAI, à qui l’on a donné des instructions pour nous rendre la lettre toute prête », poursuit Bruno. Un fichier PDF est généré.

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