A la Martinique, les sols pollués au chlordécone contraignent les agriculteurs à s’adapter

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En semaine, lorsque l’exploitation arboricole et maraîchère de Waël Toto n’est pas assaillie par les amateurs de produits de la ferme qui viennent y passer un moment de détente pendant le week-end, la brouillonne symphonie des quiscales merles, des moqueurs des savanes et des sucriers à ventre jaune emplit l’air dans ce domaine agricole du François, localité de l’est de la Martinique.

« On est considéré par les institutions comme une ferme pilote », dit, avec un brin de fierté, l’agricultrice de 40 ans, qui dirige cette exploitation d’« environ 5 ou 6 hectares » créée dans les années 1980 par son père, Roger Toto, au bout d’une route sinueuse du lieu-dit Vapeur. L’héritière en a officiellement repris les rênes en 2021, mais a toujours travaillé dans ce verger planté de quelque deux mille arbres fruitiers, diversifiant progressivement l’activité vers la transformation de produits frais et l’élevage de pintades et de trois cents poules pondeuses.

Pourtant, le sol, fertile, cultivé depuis quatre décennies par la famille Toto, est contaminé par le chlordécone, insecticide organochloré abondamment épandu dans les bananeraies de Martinique, ainsi qu’à la Guadeloupe voisine, de 1972 jusqu’à ce que le gouvernement l’interdise définitivement, en 1993, après plusieurs dérogations prolongeant son utilisation aux Antilles. Substance classée « cancérogène probable » par l’Organisation mondiale de la santé dès 1979, cette molécule très persistante a provoqué une pollution durable des sols, des cours d’eau et des milieux marins dans les deux îles.

Le scandale écologique et sanitaire avait fini par éclater après la saisie, au port de Dunkerque (Nord), en 2002, de plus d’une tonne de patates douces contaminées en provenance de la Martinique. Une plainte avait été déposée en 2006 pour empoisonnement. De nombreuses associations se sont portées partie civile dans ce dossier, mais également la Collectivité territoriale de Martinique (CTM). En janvier 2023, dix-sept ans après, les juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris ont prononcé un non-lieu définitif dans cette affaire. Après le recours de plaignants contre cette décision, une audience est prévue le 22 octobre à la cour d’appel de Paris.

Nouvelle donne

Du fait de la prépondérance de la culture de la banane aux Antilles, la surface polluée est très étendue. A la Martinique, « il y a de 11 000 à 12 000 hectares de terres contaminées », affirme José Maurice, le président de la chambre d’agriculture. Une surface équivalente à la moitié de la surface agricole utilisée de cette île volcanique de 350 000 habitants, où travaillent 2 800 exploitants. L’étendue réelle de la pollution n’est pas encore connue avec exactitude, malgré plus de 18 000 tests réalisés sur les sols : les services de l’Etat ont déterminé des « zones à risque de contamination » qui sont « couvertes par les analyses à environ 20 % », indique le gouvernement dans son bilan annuel, au 31 décembre 2022, du plan stratégique de lutte contre le chlordécone 2021-2027.

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