Sandrine (le prénom a été changé) travaille dans la santé publique et, au plus fort de la pandémie liée au Covid-19, était continuellement sur le pont. Au moment du premier confinement de 2020, c’est son conjoint qui s’occupait de leurs enfants, jusqu’à ce qu’il craque. « Il disait être exsangue », se souvient-elle. Cette période a exacerbé chez lui un malaise dont il souffrait de longue date. « La naissance de notre aîné, il y a dix ans, a réveillé en lui une angoisse, la fragilité du vivant. Son maintien affaissé laissait voir sa souffrance. Par le passé, on pouvait en parler, je l’ai longtemps soutenu, mais avec la vie de famille c’est devenu plus difficile. »
Pendant toute la crise sanitaire, Sandrine n’en peut plus des discussions interminables, des reproches que lui adresse un homme qu’elle aime toujours. Lors d’une dispute, Alexandre (le prénom a été changé) se fait particulièrement véhément. « Je ne pouvais plus être son exutoire, raconte Sandrine. Je ne lui ai pas donné le choix : je lui ai dit qu’il devait consulter un thérapeute. »
Alexandre a accepté, mais, rapidement, les séances se sont espacées. « Il n’en voit pas l’utilité », dit Sandrine, qui a pris ses distances et reconnaît qu’il revient à son compagnon de décider s’il a besoin d’aide ou non. Elle estime néanmoins avoir trop longtemps été une forme de soutien psychologique. « Je n’ai pas les compétences », tranche-t-elle simplement.
Malgré les évolutions en cours, le couple hétérosexuel – mais pas que – repose encore bien souvent sur une définition stricte des rôles. « Tout ce qui assure le bien-être, le maintien de la famille et du foyer revient généralement aux femmes », observe la philosophe Sandra Laugier, qui a diffusé en France le concept de « care », le soin, l’attention portée aux autres, dans l’espoir de faire reconnaître cette sollicitude pratiquée au quotidien, si souvent prise comme allant de soi.
Une affaire d’éducation
Parfois, face à la difficulté des hommes à exprimer leur mal-être, les femmes portent une charge psychologique, doivent jouer les thérapeutes et, dans le huis clos du couple, être le réceptacle du malaise de monsieur. En matière de santé mentale, d’acceptation des soins, un déséquilibre persiste entre les genres, ce qu’attestent différentes études. En France, les hommes souffrant de troubles mentaux ont deux fois moins recours à des soins que les femmes.
En outre, les femmes admettent plus facilement leur malaise : elles étaient 23 %, contre 13 % des hommes, à déclarer avoir « ressenti le besoin d’être aidée[s] pour des difficultés psychologiques ou parce qu’[elles] n’avai[en]t pas le moral » depuis le début de l’épidémie de Covid-19, selon une étude sur la santé mentale publiée en 2022 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la santé (Drees). Et les épisodes dépressifs toucheraient davantage de femmes : 13 % des répondants au Baromètre santé 2017, contre 6 % pour les hommes. Mais c’est ici du déclaratif, la gêne éprouvée à parler de ses souffrances pouvant amener à ne pas admettre ses difficultés lors d’un tel sondage.
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