
Les vidéos tournées par les caméras-piétons des gendarmes mobilisés le 25 mars 2023 autour de la mégabassine de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), révélées début novembre par Libération et Mediapart, constituent une documentation exceptionnelle. D’abord pour ce qu’elles montrent de la doctrine française de maintien de l’ordre et de son application, mais aussi pour ce qu’elles donnent à voir des effets, sur le comportement des gendarmes, de la criminalisation des mouvements environnementalistes. Bien sûr, les images montrent sans détour que la violence n’a pas été le seul fait des forces de l’ordre. Quarante-cinq gendarmes mobiles ont été blessés du fait d’une petite minorité des manifestants rassemblés – moins de 1 000 personnes sur les 8 000 (selon les autorités) à 30 000 (selon les associations) présentes dans les différents cortèges. Plus de 200 militants ont été blessés, dont au moins une quarantaine gravement.
Les vidéos indiquent que l’action des forces de l’ordre a été conduite sans souci de proportionnalité ou de légalité. A de nombreuses reprises, des tirs tendus de grenades (dites « GM2L ») – pourtant strictement interdits – sont pratiqués sur ordre explicite de gradés. Ces images n’ont en outre capté, à l’évidence, que les scènes considérées comme les plus bénignes par les forces de l’ordre elles-mêmes, chaque gendarme étant libre d’activer ou non sa caméra-piéton, à tout moment. Le plus accablant n’est cependant pas tant les actes en eux-mêmes que la bande-son qui les accompagne. Le flot d’insultes proférées, y compris dans les moments de calme, est saisissant : « fils de pute » et « ta mère la pute » sont éructés à foison, accompagnés de nombreux propos qui transpirent un vif plaisir d’en découdre et, surtout, la joie de blesser, de mutiler, voire le désir de tuer les gens d’en face.
« Je compte plus les mecs qu’on a éborgnés ! », jubile l’un. « J’espère bien que t’en as éborgné, hein », lui répond un autre. « Un vrai kif ! », « faut qu’on les tue ! », « t’en crèves deux-trois, ça calme les autres, hein », « j’ai cru que le mec il allait jamais se relever ! (…) Il a dû la [une grenade GM2L] prendre pleine gueule ! »… « Là, précise un jeune gendarme, ce serait bien de faire une nasse et de les massacrer. » Un autre abonde : « Des merdes comme ça, il faut les brûler. » Le plus souvent, ces propos sont articulés calmement, hors des moments de tension ou d’affrontement. Et s’ils ne sont pas le fait de tous les gendarmes mobilisés, au moins sont-ils considérés comme suffisamment acceptables pour être lancés à la cantonade.
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