
Angelo Venturato embrasse le fleuriste posté à l’entrée du cimetière. C’est à ce détail que l’on reconnaît les visiteurs les plus réguliers. Il s’engouffre dans le labyrinthe de marbre gris, cheminant bille en tête sans prêter attention aux portraits endimanchés des ancêtres disparus au siècle dernier. Ça, c’est de l’histoire ancienne.
D’un pas mécanique, cet homme taciturne vêtu d’un tee-shirt blanc rejoint le secteur dit « nuovissimo » (« le plus récent ») du cimetière d’Acerra, une ville de 60 000 habitants, posée là où les lointains faubourgs du nord de Naples rencontrent la campagne, au pied du Vésuve.
C’est dans cette extension moderne que reposent les défunts enterrés ces dernières années. Angelo ralentit la cadence. A la manière d’un guide de musée, il désigne du doigt une tombe ornée du portrait d’un adolescent aux cheveux gominés façon Elvis Presley. Il murmure : « Tumeur. »
« Tumeur, le frère, et sa sœur »
Quelques pas plus loin, il avise la photo d’un jeune diplômé : « Tumeur. » Il tourne à angle droit. « Tumeur, encore. » Lève la tête : « Tumeur, le frère, et sa sœur. » Entre les dates de naissance et de mort, les calculs sont rapides : jamais le résultat ne dépasse les 40 ans.
Les tombes sont décorées de clichés pris lors de fiançailles, d’anniversaires, de vacances à la mer. Parfois, ce sont des bambins en tenue de communion ou de baptême. La profusion de cœurs, de nounours et d’écharpes bleu azur du club de football du Napoli donne à ces allées sinistres une étrange atmosphère enfantine.
« Tumeur », « tumeur », « tumeur »… Angelo Venturato poursuit son parcours, devenu un rituel quasi quotidien. Il se sera incliné devant plusieurs dizaines de sépultures de jeunes de la région, tous emportés par un cancer ces vingt dernières années, avant de laisser soudain les larmes noyer ses yeux.
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