Depuis la Renaissance, la réforme de l’orthographe reste tout aussi nécessaire qu’impossible

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Livre. Qui mieux qu’un « réformateur désabusé » pour expliquer la stupéfiante constance dans l’échec des tentatives de simplifier l’orthographe française, pourtant célèbre – et maudite – pour ses exceptions ? Dans A qui la faute ? L’impossible (mais nécessaire) réforme de l’orthographe (Folio essais, 160 pages, 7 euros), un ouvrage aussi synthétique qu’érudit, Bernard Cerquiglini livre son enquête. Le linguiste, qui prit part aux rectifications orthographiques de 1990, voulues par le premier ministre Michel Rocard, s’appuie sur cette expérience pour détricoter les raisons de cette faillite. Depuis la Renaissance, l’histoire semble se répéter, la polémique entre conservateurs et réformateurs se rejouer.

Passant au crible les présumés coupables, l’auteur commence par examiner, et pondérer, les torts des plus évidents suspects : au XVe siècle, les pédants lettrés épris de latin, puis, deux siècles plus tard, les académiciens et leur conservatisme. Les premiers sont accusés d’avoir barbouillé la graphie française de lettres non prononcées, censées rappeler la racine latine : on écrit ennuyeulx, escrire et nuict. Si cette « étymologisation est catastrophique » pour quiconque apprend le français, elle va de pair, nous rappelle le linguiste, avec un bouleversement du rapport à l’écrit, puisque la lecture se diffuse et dote la graphie de nouvelles fonctions.

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Les copistes l’ont bien compris, et ces lettres étymologiques facilitent la distinction entre les homophones à l’écrit. Décontextualisé, s’adressant désormais à l’œil plutôt qu’à l’oreille, « l’écrit doit fournir des données reconnaissables : le mot acquiert une forme », résume Bernard Cerquiglini. L’attachement à l’étymologie ne se réduit donc pas à un culte voué aux formes du passé, mais constitue un moyen de « régler une graphie selon un canon externe immuable ».

Manque de pédagogie

Battant en brèche tout manichéisme, l’auteur s’attache également, et c’est plus surprenant, aux responsabilités des réformateurs eux-mêmes dans cet enlisement. « Ils n’ont pas manqué de joindre à leurs impasses théoriques bien des erreurs stratégiques », explique-t-il, pointant un manque de pédagogie et, au XXe siècle, une modération frôlant l’incohérence.

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