
« Viens voir, le cinéma a brûlé ! »
Mon nom a résonné d’un bout à l’autre de la rue, et j’ai levé les yeux, plein d’inquiétude. Plein d’inquiétude parce que nous ne nous trouvions pas dans une rue ordinaire d’une ville ordinaire, mais dans la rue Omar-Al-Mokhtar, l’artère principale de la vieille ville de Gaza. Et parce que la voix qui m’avait appelé au loin, une voix ébranlée par la vision du bâtiment calciné – le célèbre cinéma Al-Nasr, réduit en cendres par des hommes du Hamas – était celle de ma femme, Yael. Je n’entendais plus le brouhaha de la rue : les mots sortis de sa bouche en hébreu, cette langue absente du paysage sonore de la ville depuis des années, ont explosé à mes oreilles.
C’était il y a vingt ans, en 2005, avant la prise de contrôle du Hamas [en juin 2007], et alors que la bande de Gaza s’accrochait encore à l’espoir, malgré l’occupation israélienne qui l’étranglait et les colonies qui la criblaient. Nous étions les seuls visiteurs israéliens à Gaza : ma femme, qui m’avait accompagné en tant que photographe, et moi-même, journaliste du quotidien Haaretz, venu couvrir la vie musicale gazaouie aux côtés de l’ONG belge Music Fund, dirigée par Lukas Pairon.
« Vous êtes mariés ? Vous avez des enfants ? C’est une folie d’aller dans un endroit aussi dangereux ! », nous avait sèchement sermonnés le policier du poste de contrôle. « Pourquoi, vous y êtes déjà allé ? », lui avait rétorqué Yael. Mais il n’a pas répondu.
Accueillis avec joie
Yael a pointé son petit appareil photo argentique sur ce qui nous entourait – le lugubre passage entre Israël et Gaza, que nous venions de traverser, avec ses haut-parleurs qui crachaient des instructions d’en haut ; les champs fertiles qui s’étendaient au-delà de la ville ; la plage ; ses nouvelles amies gazaouies. « J’ai l’impression de devoir prendre ces photos en cachette », a-t-elle répété tout au long de la journée. « Pourquoi cette culpabilité ? Parce que moi, je peux partir, alors que tous les autres sont enfermés ici ? »
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