
Dans la guerre que mènent les Ukrainiens pour repousser l’invasion russe se joue la liberté d’un peuple à choisir son statut en Europe, mais aussi la démocratie. C’est pourquoi il convient de saluer le revirement de Volodymyr Zelensky sur la question de la lutte contre la corruption concrétisé par le vote, jeudi 31 juillet, à une large majorité, d’un projet de loi rétablissant l’indépendance des deux instances chargées de lutter contre ce fléau.
Neuf jours plus tôt, le président ukrainien avait lui-même signé, après un vote au Parlement, un autre texte qui plaçait les deux agences en question sous l’autorité du procureur général nommé par lui-même, ce qui aurait permis au pouvoir d’intervenir dans les enquêtes. Les députés de la majorité présidentielle avaient été enjoints d’approuver cette décision censée protéger l’Ukraine des ingérences russes, mais qui aurait fait régresser le pays en matière de transparence.
En corrigeant ce faux pas, M. Zelensky a montré sa capacité à reconnaître ses erreurs. Le dirigeant ukrainien, il est vrai, s’est trouvé confronté à une mobilisation citoyenne sans précédent en trois ans et demi de conflit.
Dans les rues de Kiev et d’autres grandes villes, des milliers de jeunes ont protesté, poussés par une vague d’indignation nationale. Pour eux, reculer sur la lutte anticorruption reviendrait à trahir les sacrifices des combattants, à compromettre les chances d’adhésion à l’Union européenne (UE) en décrédibilisant l’Ukraine, au risque de perdre un soutien crucial. Que ces manifestations aient été non seulement possibles sous la loi martiale, mais aussi entendues par le pouvoir, témoigne d’une belle vivacité démocratique.
Cependant, le sursaut de Volodymyr Zelensky n’est pas seulement une réponse à la colère de la population. Il s’explique d’abord par les pressions de l’UE, pour qui l’affaiblissement du dispositif anticorruption dans un pays candidat à rejoindre les Vingt-Sept était inacceptable. La menace d’une suspension d’une partie de l’aide de l’UE et les mises en garde de dirigeants européens ont convaincu le président ukrainien qu’il faisait fausse route.
Refus de la mainmise russe
La vigueur des protestations européennes souligne le lien entre rapprochement avec l’UE et lutte contre la corruption. Saluée par une large part de la société civile ukrainienne, cette vigilance nouvelle des alliés de Kiev reflète une double exigence : défendre le pays tout en y consolidant les outils qui permettront à l’Ukraine de s’assurer un avenir démocratique au sein de l’UE.
Les deux objectifs vont de pair. Certes, procéder à des réformes structurelles tout en repoussant une armée d’invasion constitue un défi exceptionnel. Mais la situation militaire difficile de l’Ukraine, marquée par la lente avancée des forces russes et les bombardements de plus en plus meurtriers, ne saurait justifier d’abandonner la lutte contre la corruption.
Le refus de Vladimir Poutine d’accepter le choix des Ukrainiens de se tourner vers l’Occident est précisément à l’origine de son agression. Pour les Ukrainiens, la bataille est aussi celle qui relie refus de la mainmise russe, accession à la démocratie et adhésion à l’UE. L’avertissement de la société ukrainienne à ses dirigeants est clair : l’état de guerre et ses terribles contraintes sur le fonctionnement démocratique ne doivent pas permettre d’abaisser les exigences en matière d’honnêteté et de responsabilité des dirigeants. C’est aussi pour cela que les Ukrainiens se battent.