Donald Trump accélère la recomposition du commerce mondial

4894


L’annonce par le président américain Donald Trump, jeudi 13 février, de la mise en place de droits de douane réciproques d’ici aux six prochains mois a sidéré les partenaires des Etats-Unis tout en détruisant la fragile architecture des échanges internationaux bâtie sur les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle est aussi un casse-tête. Les douanes américaines gèrent 13 000 tarifs différents pour chacun de leurs 200 pays partenaires, ce qui signifie qu’elles vont devoir passer en revue près de 2,6 millions de droits de douane… au moment même où Elon Musk veut purger l’administration de ses fonctionnaires.

Les conseillers de Donald Trump ont toutefois indiqué que ces tarifs seraient redéfinis « au cas par cas », ce qui suggère qu’ils pourraient être utilisés comme leviers de négociation dans des dossiers qui n’ont rien à voir avec le commerce.

La menace d’une hausse des droits de douane a déjà été brandie, quelques semaines plus tôt, pour contraindre la Colombie à accepter un retour des migrants ou pour arracher au Canada et du Mexique une coopération renforcée dans la lutte contre le trafic de drogue.

Avec son décret, Donald Trump réduit en cendres tous les traités de libre-échange longuement négociés avec des pays comme la Corée du Sud, le Mexique ou le Canada, ce qui risque de déprécier la valeur des accords de commerce signés avec les Etats-Unis. Les nouvelles règles de Washington l’autorisent à imposer des droits de douane même à un pays qui ne lui en soumet aucun, s’il considère certaines de ses pratiques comme « déloyales », ou si un pays a déprécié sa monnaie pour rendre ses exportations plus compétitives.

Cette nouvelle politique est loin de faire l’unanimité parmi les économistes américains. Pour Douglas Irwin, la réciprocité des tarifs revient à « sous-traiter la politique tarifaire des Etats-Unis à d’autres pays ». « Ce sont eux qui dicteraient nos tarifs. Si d’autres pays imposent des droits de douane élevés sur les produits américains, nous ferions de même sur les leurs. Adieu la souveraineté américaine. Adieu la capacité de décider de notre propre intérêt national », écrit-il dans les colonnes du Wall Street Journal.

La hausse de droits d’importation va aussi coûter cher aux consommateurs qui se remettent à peine d’une inflation record ayant contribué à la défaite de Joe Biden. Celle-ci a atteint en glissement annuel 3 % en janvier, en légère hausse par rapport au mois de décembre 2024 (+ 2,9 %), bien au-delà de l’objectif de 2 % fixé par la Réserve fédérale (Fed, banque centrale).

Elle pénalisera aussi les entreprises qui importent des composants de l’étranger, en réduisant leur compétitivité. Si par exemple l’Indonésie augmente ses tarifs sur l’importation de batteries électriques pour protéger son industrie, faut-il que Washington à son tour répercute cette hausse ? Dans ce cas, les voitures électriques coûteraient plus cher à produire aux Etats-Unis. Une taxe d’importation est aussi une taxe d’exportation.

La fin d’une mondialisation régie par les règles de l’OMC

En brandissant la menace des droits de douane réciproque, qui s’ajoute à la récente décision de taxer les importations d’acier à 25 %, les Etats-Unis laissent planer le risque d’une guerre commerciale à grande échelle. L’Union européenne (UE) et le Canada préparent, en représailles, des contre-mesures tarifaires. Le gouvernement britannique a annoncé, dimanche 16 février, un plan de soutien pouvant atteindre 2,5 milliards de livres (3 milliards d’euros) pour protéger son industrie sidérurgique.

En quelques semaines, c’est tout l’édifice fondé sur les règles de l’OMC qui vole en éclats, même si celui-ci s’était déjà bien fissuré depuis le premier mandat de Donald Trump. En bloquant son organe de règlement des différends, ce dernier avait amputé l’OMC de son rôle d’arbitre du commerce international. Les Etats-Unis s’attaquent désormais à l’un de ses fondements, à savoir le principe de non-discrimination des partenaires commerciaux, en imposant des tarifs douaniers « pays par pays, au cas par cas ».

Le Monde Guides d’achat

Gourdes réutilisables

Les meilleures gourdes pour remplacer les bouteilles jetables

Lire

La capacité de résilience dont a fait preuve le système au cours des dernières années, en absorbant les chocs des tensions commerciales entre Washington et Pékin, de la pandémie de Covid-19 ou de la guerre en Ukraine, minimise le risque d’un effondrement des échanges. Mais la transformation du paysage du commerce mondial pourrait s’accélérer, ce dernier se développant de plus en plus au-dehors des Etats-Unis. En avril 2024, l’OMC pointait la hausse fulgurante des échanges entre les pays émergents, à un rythme annuel de 9,7 %, et soulignait qu’ils représentaient déjà 25 % du commerce mondial en 2022, contre 10 % en 1990. Une hausse principalement liée à l’émergence de la Chine.

Une tendance qui se traduit par la faiblesse relative du poids des Etats-Unis dans le commerce mondial (15 % des échanges de la planète) par rapport à son importance dans l’économie internationale – le quart du produit industriel brut, PIB, mondial – et qui s’explique par l’importance croissante des services.

Les pays développés, et en particulier les Etats-Unis, sont mieux positionnés que les autres sur ce secteur qui échappe aux tarifs douaniers. La part des services dans la balance extérieure américaine est d’ailleurs supérieure à la moyenne des autres pays dans le monde. Même si les échanges de produits manufacturés jouent un rôle majeur, parce qu’ils concentrent une part importante des dépenses en recherche et développement, et sont indispensables à l’approvisionnement en composants dans l’industrie de la défense, leur part ne cesse de diminuer dans le commerce mondial. « Les services sont le secteur de l’économie mondiale qui connaît la plus forte croissance, constate l’OMC, en termes de valeur ajoutée, ils représentent environ 50 % du commerce mondial. »

Face à la montée du protectionnisme américain, les pays accélèrent les négociations d’accords commerciaux. Depuis 2017, l’UE a négocié huit accords, et vient d’annoncer la reprise des discussions d’un autre avec la Malaisie. La Chine en a conclu neuf, dont un partenariat historique réunissant quinze nations en Asie.

En dépit des tensions géopolitiques et commerciales, les échanges continuent de progresser même si c’est à un rythme plus lent qu’au début des années 2000. Le dernier baromètre du commerce des marchandises, publié le 9 décembre 2024 par l’OMC, tablait sur une croissance en volume de 2,7 % en 2024, et de 3 % en 2025.

La Chine, locomotive de la mondialisation

Loin du bruit et de la fureur de Donald Trump, la Chine continue de tisser sa toile commerciale. Vendredi 14 février, elle a signé avec les îles Cook du sud du Pacifique, un « accord de partenariat stratégique global » dont le contenu n’a pas été dévoilé. La Nouvelle Zélande, influente dans cette région, craint que cet accord ouvre la voie à l’exploitation minière en eaux profondes. Début février, Pékin avait aussi annoncé avoir démarré des négociations avec le Kirghizistan, un pays stratégiquement situé au cœur de l’Asie centrale, dans l’espoir de conclure un accord sur les investissements et les échanges de services. Début janvier, son accord de libre-échange avec les Maldives, un archipel qui n’est qu’à quelques centaines de kilomètres des côtes indiennes, est aussi entré en vigueur.

Lorsque Pékin a annoncé, le 4 février, une série de représailles après l’application par Washington de droits supplémentaires de 10 % sur les produits chinois importés aux Etats-Unis, elle a pris soin de déposer une plainte devant le mécanisme de règlement des différends de l’OMC, pourtant quasi défunt. Une manière de signifier son soutien à un système commercial fondé sur des règles. Des règles que la Chine est pourtant accusée d’avoir détournées, par un soutien de son industrie, via des subventions, des exemptions de taxes ou encore des prêts à des taux préférentiels.

Si Pékin est aussi attaché à la libéralisation des échanges, c’est parce que la surcapacité de son industrie manufacturière, alimentée par une hausse des prêts d’environ 30 % par an depuis 2020, a atteint des sommets. Le nombre de produits, dont la Chine assure la moitié de la fabrication dans le monde, est deux fois plus élevé que pour l’UE, et six fois plus que pour les Etats-Unis. Un raz de marée qui déborde sur tous les pays, y compris les émergents. En 2024, ils sont nombreux, à l’instar du Mexique, du Chili, de la Colombie, du Brésil ou de la Thaïlande à avoir pris des mesures pour se protéger des importations chinoises.

Les pays en développement, premières victimes de la politique de Donald Trump

Lors du dernier Forum de Davos (Suisse), à la mi-janvier, le premier ministre vietnamien, Pham Minh Chinh, a confié à une journaliste du Financial Times qu’il essayait désespérément de trouver « quelle libation offrir à Donald Trump » pour échapper à ses foudres commerciales. De fait, le Vietnam est particulièrement vulnérable à cause de son excédent commercial de 123,5 milliards de dollars (117,8 milliards d’euros) avec les Etats-Unis, le quatrième plus important derrière ceux de la Chine, de l’UE et du Mexique. « Nous cherchons à acheter entre cinquante et cent avions [aux Etats-Unis] ainsi que d’autres articles de haute technologie », a-t-il expliqué, ajoutant qu’il était également prêt à « jouer au golf toute la journée » avec Donald Trump à Mar-a-Lago « si cela est bénéfique aux [intérêts nationaux] ». Le ministère vietnamien du commerce a ajouté, vendredi 14 février, qu’il était « prêt à lui ouvrir son marché et augmenter les importations de produits agricoles américains ».

Le Vietnam fait partie de ces pays émergents qui ont enregistré une croissance exceptionnelle ces dernières décennies grâce à la libéralisation des échanges et sont donc parmi les plus touchés par le protectionnisme américain. Ses droits de douane sont plus élevés que ceux des Etats-Unis, et son économie dépend du commerce extérieur (90 % du PIB) avec une part important de ses exportations destinées à ce pays. Dernier élément qui dessert sa cause : une grande partie de ses marchandises vendues aux Etats-Unis proviennent en réalité d’entreprises chinoises qui cherchent à contourner les barrières tarifaires imposées à Pékin.

D’autres pays sont dans le viseur de Donald Trump, à l’instar du Brésil. La Maison Blanche l’a accusé de taxer les importations d’éthanol à 18 % alors que le même produit est taxé à 2,5 % à son entrée sur le sol américain. Et en accueillant le premier ministre indien, Narendra Modi, à Washington, jeudi 13 février, le président américain l’a aussi mis en garde : « Ce que l’Inde nous fait payer, on lui fait payer aussi ! » Il accuse le pays, traité de « roi des droits de douane » ou de « gros profiteur », d’entretenir avec les Etats-Unis un excédent commercial de « presque 100 milliards de dollars. »

Les pays en développement qui ne creusent pas le déficit commercial américain ne sont pas épargnés. Plus pauvres, ils sont touchés par la suspension de l’aide américaine au développement qui a atteint les 68 milliards de dollars en 2023, dont 19,4 milliards consacrés au développement économique et 15,6 milliards à l’aide humanitaire. C’est une assistance vitale pour certains pays, qui en dépendent pour leurs programmes alimentaires ou leur système de santé.

Les pays en développement s’inquiètent d’une autre conséquence, indirecte, du protectionnisme tarifaire de Donald Trump. La hausse des droits de douane risque d’entraîner une accélération de l’inflation américaine et une augmentation des taux d’intérêt directeurs de la Fed pour la contenir, ce qui pourrait apprécier le dollar. Les pays en développement qui se sont endettés en devise américaine devront alors faire face à un renchérissement du coût de leurs emprunts, qui absorbe 50 % des dépenses budgétaires d’un pays comme l’Angola. Or la moitié des pays pauvres frôlent déjà le défaut de paiement.

Réutiliser ce contenu



Source link