La justice argentine ordonne l’arrestation de dirigeants birmans pour crimes contre l’humanité et génocide contre les Rohingya

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Le président de l’Organisation des Rohingya birmans du Royaume-Uni (BROUK), Tun Khin, devant un tribunal fédéral à Buenos Aires, le 16 décembre 2021.

La justice argentine a ordonné l’arrestation de l’actuel chef de la junte en Birmanie et d’une vingtaine d’anciens responsables militaires et civils, dont Aung San Suu Kyi, pour « génocide et crimes contre l’humanité » contre la communauté rohingya, ont indiqué, vendredi 14 février, des sources judiciaires.

La résolution, à laquelle l’Agence France-Presse (AFP) a eu accès, a été émise jeudi par la juge fédérale Maria Servini, dans le cadre d’une enquête ouverte en 2021, à la suite d’une plainte émanant de Rohingya pour crimes présumés contre cette minorité. La plainte avait été instruite en vertu du principe de « justice universelle », consacré dans la Constitution argentine.

Dans le document, la juge considère que les actes commis contre la population rohingya en Birmanie « constituent des crimes qui enfreignent les droits humains reconnus dans différents instruments du droit pénal international, souscrits par la majorité des pays du monde, et relèvent de crimes internationalement connus comme génocide et crimes contre l’humanité, commis par les autorités politiques et militaires au pouvoir dans ce pays ».

Les Rohingya, majoritairement musulmans, sont originaires de Birmanie, pays à dominante bouddhiste où, selon l’ONG Amnesty International, ils sont soumis à un régime assimilé à l’apartheid. Nombre d’entre eux ont été contraints de fuir persécutions et violences à partir de 2017, vers la Malaisie plus riche et à majorité musulmane, ou vers des camps de réfugiés au Bangladesh, où vit environ un million d’entre eux.

Demandant que les ex-responsables birmans soient entendus dans le cadre de l’enquête, la juge argentine considère qu’étant donné « l’ampleur pénale » des crimes concernés, « une capture internationale devra être ordonnée ». Outre le chef de la junte, Min Aung Hlaing, la résolution de la juge requiert que soient entendus notamment Htin Kyaw, président de 2016 à 2018, mais aussi la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, dirigeante de facto au titre de « conseillère de l’Etat » de 2016 à 2021.

« Lueur d’espoir »

S’agissant d’Aung San Suu Kyi, l’avocat argentin des plaignants rohingya, Tomas Ojea Quintana, a indiqué à l’AFP que pour eux, « elle ne devrait pas être incluse à ce stade de l’enquête » dans l’ordre de capture, « seulement les militaires qui ont exécuté le génocide ». Mais la juge « a estimé qu’elle avait un certain niveau de responsabilité, et l’a incluse dans l’ordre de capture international », a-t-il ajouté.

En 2023, des membres de la minorité rohingya de Birmanie étaient venus témoigner pour la première fois en personne à Buenos Aires, dans le cadre de l’enquête, lors d’une audience à huis clos. Une audience virtuelle avait aussi eu lieu en 2021.

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Par le passé, la justice argentine a déjà examiné des dossiers lointains en vertu du principe de « compétence universelle », notamment des crimes commis sous le régime franquiste en Espagne. Ce principe permet de poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus graves, quels que soient leur nationalité et l’endroit où les faits ont été commis.

L’exécution de ces résolutions reste toutefois hypothétique. En décembre, la justice argentine a ainsi ordonné l’arrestation du président nicaraguayen Daniel Ortega pour « violation systématique des droits humains ».

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Néanmoins, Tun Khin, président de l’Organisation des Rohingya birmans du Royaume-Uni (BROUK), a salué vendredi « une étape historique vers la justice pour les Rohingya et pour tous ceux qui souffrent en Birmanie sous l’armée birmane ». « Cela apporte une lueur d’espoir aux Rohingya qui ont souffert pendant des décennies de génocide, voyant leurs familles et leur culture être détruites en toute impunité », a-t-il ajouté dans un communiqué transmis à l’AFP.

Outre l’Argentine et sa « compétence universelle », la communauté rohingya a suivi ces dernières années diverses voies de la justice internationale, dont la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice (CIJ). En novembre dernier, le procureur de la CPI a déposé une requête pour un mandat d’arrêt contre le chef de la junte birmane, pour crimes présumés contre l’humanité contre la minorité rohingya.

La prochaine étape en Argentine, après la résolution de la juge, est que la demande de capture soit transmise au procureur. « C’est à lui qu’appartient de faire les démarches en vue d’une notification à Interpol », a expliqué l’avocat Tomas Ojea Quintana.

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Le Monde avec AFP

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