le calvaire des assiégés de l’île Tuti

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A la confluence du Nil Blanc et du Nil Bleu, l’île Tuti était un petit paradis tranquille au cœur d’une mégalopole bruyante. En plein centre de Khartoum, les habitants venaient se promener sur cette lande de verdure d’à peine huit kilomètres carrés qui prend la forme d’un croissant de lune cerné par les eaux. Sur la rambarde de l’unique pont qui relie Tuti à la terre ferme, de jeunes couples se tenaient discrètement la main, immortalisés au soleil couchant par des photographes amateurs.

Au bord du Nil, sur l’île Tuti, à Khartoum, en avril 2022.

Bordée de champs de fèves, de roquette et de légumes, l’île était connue pour être le jardin de la capitale du Soudan. Quand le soleil tapait trop fort, les agriculteurs y sommeillaient nonchalamment à l’ombre des palmiers. Quand il déclinait, les pêcheurs jetaient leurs filets le long de ses berges boueuses. Sur son flanc est, l’immense plage de sable fin déposé par le fleuve était le lieu de rendez-vous des familles qui venaient y déjeuner, assises les pieds dans l’eau sur des chaises en plastique multicolores. Le glouglou des narguilés et le bruit régulier des pompes à moteur irriguant les cultures étaient les métronomes d’une vie paisible.

Puis la guerre a éclaté. Depuis le 15 avril 2023, coincée dans les combats qui opposent les Forces armées du Soudan (FAS) dirigées par le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, avec lesquelles Le Monde a obtenu l’autorisation de se rendre dans le pays, et les Forces de soutien rapide (FSR), une milice avec à sa tête le général Mohammed Hamdan Daglo, connu sous le pseudonyme de « Hemetti », celle que l’on surnomme « la jacinthe du Nil » est devenue un mouroir champêtre. Pendant dix-huit mois, les habitants de l’île ont subi l’occupation des paramilitaires, qui ont multiplié les exactions dans cette enclave convertie en prison à ciel ouvert.

Les 30 000 habitants ont fui

En octobre, à la suite de la contre-offensive de l’armée régulière dans le centre-ville de Khartoum, Tuti s’est totalement vidée. En quelques semaines, les plus de 30 000 habitants de l’île, otages de la guerre, ont fui. A l’exception d’une cinquantaine d’entre eux, quelques bergers et une poignée de vieillards, il n’y a plus âme qui vive.

Episode 1 | Article réservé à nos abonnés A Khartoum, capitale dévastée, la mort frappe à chaque coin de rue

A Omdourman, sur la rive ouest du Nil, plus de 400 rescapés de Tuti ont trouvé refuge dans l’internat Al-Manial, entassés dans des dortoirs qui accueillaient avant-guerre les étudiantes d’une université. Dans la cour, des valises remplies de vêtements s’amoncellent. Dans le bâtiment de briques, les hommes sont installés au rez-de-chaussée, les femmes âgées au premier étage, les enfants et leurs mères au dernier. Tous dorment sur des lits superposés en ferraille.

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