Trente-cinq ans après la chute du Mur, Berlin la libérale a perdu de son éclat

4603


Des visiteurs écoutent l’installation sonore « Tamtam : Eleven Songs − Halle am Berghain », au club Berghain, à Berlin, le 26 juillet 2020.

Sous l’Oberbaumbrücke, le grandiose pont néogothique sur la Spree qui marque l’ancienne frontière entre Berlin-Ouest (quartier de Kreuzberg) et Berlin-Est (Friedrichshain), on fait, en cette nuit d’octobre, la queue pour entrer au Watergate. L’attente dans la pénombre devant le célèbre club est un rituel de la nuit berlinoise. Presque un rite de passage d’un monde à un autre, qui a ses codes précis. Une fois l’épreuve du videur passée, les caméras des téléphones sont soigneusement recouvertes d’un autocollant opaque. Sur les deux étages du club à l’immense façade vitrée donnant sur la rivière se produisent, ce soir-là, quatre DJ stars sous les néons colorés. On danse, on batifole et l’on consomme jusqu’à l’excès, à l’abri des réseaux sociaux. Chaque nuit, du jeudi au dimanche, le rythme techno emporte les corps et déconnecte les esprits, effaçant toute notion du temps. Cette expérience, emblème de la pop culture allemande à l’international, est aussi un atout économique essentiel pour la ville.

Cette époque touche-t-elle à sa fin ? Le Watergate, qui est avec le Berghain l’un des clubs berlinois les plus célèbres du monde, va fermer ses portes à la fin de l’année, après vingt-deux ans d’existence. En cause : le choc de la pandémie de Covid-19, qui a cassé la dynamique de la nuit berlinoise, mais aussi le loyer réclamé par le propriétaire des lieux, qui a explosé, comme dans toute la ville. Le Wilde Renate, autre adresse réputée, hébergé par le même investisseur, doit également fermer en 2025.

Les millions qui chassent la techno, l’image est facile. Ce n’est qu’une partie de la vérité : historiquement, des clubs ont toujours migré dans la ville, à mesure de son développement. Pourtant, la fermeture du Watergate marque bien une rupture. La capitale allemande, longtemps adulée comme « pauvre mais sexy », selon l’expression formulée en 2004 par son ancien maire, Klaus Wowereit, est en crise. Comme un reflet de l’Allemagne, qui a tant profité du monde ouvert issu de la chute du Mur, il y a tout juste trente-cinq ans, en 1989, Berlin la libérale a singulièrement perdu de son éclat.

Kreuzberg, « c’est un film d’horreur »

Interrogé par le quotidien Berliner Zeitung, à la mi-septembre, Ulrich Wombacher, un des trois fondateurs du Watergate, justifiait la fermeture du club en expliquant combien le quartier de Kreuzberg, en particulier, s’était dégradé. « Cela n’a plus rien de sexy, c’est un film d’horreur. (…) Kreuzberg a un vrai problème de drogue, avec beaucoup de sans-abri, de criminalité, de saleté et d’autres maux sociaux visibles. Quand le tourisme lié aux clubs et à la fête s’arrête, cela saute aux yeux », explique l’ancien DJ. L’affluence dans les clubs a baissé ; les festivals, où les grands DJ se produisent devant un plus large public, leur font désormais concurrence. « Nous avons longtemps pensé que nous étions irremplaçables. Mais pourquoi les clubs ne devraient pas être un phénomène transitoire ? La culture club est extrêmement fragile », tranche M. Wombacher, qui a fêté ses 50 ans en 2023.

Il vous reste 72.97% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link