Detroit, voyage dans un récit de l’Amérique

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Dans le centre de Detroit (Michigan), en 2007.

« La Ville d’après. Detroit, une enquête narrative », de Raphaëlle Guidée, Flammarion, « Terra incognita », 320 p., 23 €, numérique 16 €.

Le capitalisme est mort, vive le ­capitalisme ! Telle pourrait être la devise de Detroit (Michigan), ville catastrophe, officiellement en faillite en 2013 (avec ses quelque 18 milliards de dollars de dettes), qui connaît aujourd’hui un nouveau départ. « Les investisseurs défendent l’idée que cette richesse nouvelle de certains quartiers finira par ruisseler sur les zones appauvries », rapporte, sans conviction, Raphaëlle Guidée dans La Ville d’après. A partir d’un corpus colossal, constitué de témoignages, de documentaires, de films, de séries, de romans, d’essais… l’universitaire, spécialiste de littérature comparée, analyse la complexité des récits qu’a générés ce « Pompéi américain » post-banqueroute. « La ville est depuis la crise mondiale de 2008 un filon littéraire, cinématographique et photographique où convergent les amateurs de désastres et de métaphores », écrit-elle. Et pour cause… Elle est tout à la fois un symbole du déclin de l’empire américain, de la renaissance et de l’utopie.

Il faut dire qu’en matière de calamités la capitale mondiale de l’automobile, celle de la Ford T de 1913, de la production de masse et des hauts salaires ouvriers, excelle. L’autrice nous rappelle comment les photos d’Yves Marchand et de Romain Meffre (Detroit. Vestiges du rêve américain, Steidl, 2010), publiées dans Le Monde, El Pais ou le New York Times, avaient révélé l’état de désolation dans lequel se trouvait Motor City : une métropole en ruine, abandonnée, où la nature envahissait maisons, écoles, théâtres et autres entrepôts. Detroit, qui fut la quatrième ville des Etats-Unis dans les années 1950, avait perdu les deux tiers de sa population selon un processus bien connu outre-Atlantique : fuite des populations aisées blanches et des usines vers la banlieue, chute des recettes fiscales, fermeture des services publics (écoles, police, hôpitaux…) et des commerces, chômage, coupure d’eau, d’électricité, d’éclairage public, expulsion, violence, extrême pauvreté…

Jardin de subsistance

« Ce qui est, pour les habitants de Detroit, les vestiges douloureux de la crise économique avec laquelle ils doivent vivre devient, dans les beaux livres qui décorent les tables basses, un spectacle aussi choquant que jubilatoire », déplore Raphaëlle Guidée. Des touristes, essentiellement blancs, viennent dorénavant du monde entier assister en direct à la fin du capitalisme, voire à la fin du monde, quand les habitants – afro-américains à 80 % – bataillent au quotidien pour survivre. D’où les anciennes friches, aux sols pourtant pollués, transformées en jardin de subsistance ou encore l’éclosion de fermes urbaines.

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