Faut-il distinguer le conducteur de sa voiture ? Depuis la mort de Paul Varry, le 15 octobre, un cycliste de 27 ans écrasé par un automobiliste à Paris, beaucoup d’amateurs de vélocipède s’y refusent et devinent un prédateur derrière le pare-chocs de chaque SUV, cet imposant véhicule tout-terrain, instrument du drame ce jour-là.
« Les SUV sont les ennemis des piétons, des cyclistes et autres automobilistes », a ainsi dénoncé le collectif toulousain No SUV Tolosa, après avoir dégonflé, dans la nuit du 19 au 20 octobre, les pneus de soixante-cinq véhicules « en hommage à Paul Varry ». Selon ces militants écologistes, le SUV serait le symbole d’« une posture masculiniste ». « Une grosse bagnole, ça prouve qu’on a du fric et qu’on est un vrai mec – ou du moins quelqu’un d’important », estiment-ils. Un archétype qui serait « incapable de gérer ses émotions » lorsqu’il est « touché dans son ego », en l’occurrence critiqué par un cycliste pour sa conduite.
Excessif ? Les publicitaires des années 1990 assumaient en tout cas cette symbiose de l’homme et de son véhicule pour en faire un argument de vente. Le 3 octobre 1996, Sylvie Kauffmann, correspondante du Monde à Washington, fait découvrir à ses lecteurs la « grande histoire d’amour » des Américains avec cette voiture d’un genre nouveau : le SUV, littéralement sport utility vehicle, « véhicule à la fois sportif et utilitaire », qui réinvente le 4 × 4 en le rendant plus urbain. Si le SUV, précise la journaliste, n’est pas seulement « l’apanage de quelques gros bras qu’il faut attirer, comme le fait encore le magazine Sport Truck, par des pin-up en maillot de bain », son imaginaire puise tout de même dans les clichés de l’homme en action.
Clientèles aisées
Ainsi de cette publicité diffusée par General Motors pour son dernier-né, Jimmy, qui met en scène un acheteur imaginaire dénommé Gary Burke. « Gary Burke, raconte Sylvie Kauffmann, est chef régional des ventes dans la confection. Il joue au golf et au tennis, aime le jardinage. Sa femme s’appelle Lesley, sa fille Erika, ses chats Nicky et Molly. L’un des derniers modèles 4 × 4 (quatre roues motrices) de General Motors s’appelle Jimmy. Son intérieur est spacieux et ses sièges en cuir. (…) Si l’on en croit la page de publicité faite en ce moment par General Motors dans les magazines américains, Gary Burke, moustache conquérante, complet-veston et ordinateur portable, et Jimmy, vitres fumées, vert bouteille discret et élégance sportive, sont faits l’un pour l’autre. »
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