« Je rêvais de pays où j’imaginais habiter plus tard »

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« Il ne faut pas se moquer du crocodile avant d’avoir traversé la rivière » (proverbe malgache), détail des pages 116-117. Acrylique sur carte.

Avec Vagabondages (Gallimard), Nicolas Vial propose une espèce de carnet de voyage autobiographique magistral peint sur des cartes, anciennes et modernes.

Le peintre officiel de la marine (depuis 2008) né en 1955 offre au lecteur de voyager à travers les grands thèmes qui animent sa peinture – bateaux à voiles, monstres mécaniques marins, improbable bestiaire (où crocodiles, éléphants, chats, rhinocéros, etc. se côtoient), personnages « en chapeaux » (« mon personnage fétiche, un peu mon Corto Maltese à moi »), etc. –, transformant son voyage immobile cartographié en expédition, quand il s’agit d’évoquer son dernier périple autour de Madagascar à bord de L’Astrolabe, un brise-glace, patrouilleur et navire logistique armé par la marine nationale.

Il n’a acheté aucune de ces cartes géographiques qu’il utilise comme support à sa peinture… « Après plusieurs appels sur Instagram, elles me sont arrivées de partout », tient-il à préciser. Certaines œuvres sont réalisées avec des Posca, d’autres à l’acrylique. « Elles n’étaient pas toutes en bon état. Alors je les déroulais, les scotchais avec un ruban adhésif détachable de peintre en bâtiment, puis les mouillais avec une éponge et je peignais sur le papier humide. Une fois sèches, elles étaient tendues comme une membrane de tambour. »

« Cuirassiers contre cuirassés. Laquelle est la plus solide ? La peau molle et caoutchouteuse du rhinocéros ou la triple épaisseur d’acier du cuirassé ? » (pages 94-95).

« Voilà quelques mois, Nicolas Vial est remonté au grenier de la maison de famille (…). Sous une pile de vieux papiers, parmi les actes notariaux et les journaux d’antan, il a déniché quatre gravures de la campagne d’Egypte, raconte dans la préface pleine de sensibilité de Vagabondages l’écrivain Philibert Humm, prix Interallié 2022 pour Roman fleuve (Equateurs). Des esquisses défraîchies, cornées, datant de l’expédition Vivant Denon [1747-1825]. Que faisaient-elles au fond de ce tiroir ? Vial n’a pas cherché à le savoir (…). Fidèle à l’enfant qu’il est resté, Nicolas Vial a dévissé les tubes de couleurs et couvert d’ocre et de garance le désert égyptien. Il a fait voguer des trois-mâts entre les pyramides (…). C’est ainsi que l’idée a germé. L’idée de travailler à même les cartes. Peindre sur une carte revient à plaquer des histoires sur la géographie. »

« Reflets terre de Sienne », acrylique sur papier, format 69 x 100 cm, reproduite page 13.

Les « histoires », ce sont les histoires de la vie du peintre qui se… « dévoile » par touches successives au fil des pages qui reproduisent – heureusement, renforçant la portée autobiographique de Vagabondages ! – son écriture si particulière, selon un procédé utilisé pour Un Brise-glace sous les tropiques (Chêne, 2022)… Normal pour un artiste dont les souvenirs de jeunesse sont bercés par La Mélanie – un cotre de Carantec appartenant à des amis d’enfance qui lui permettait de pêcher au large de Kerlouan ou Brignogan, en Bretagne –, ou encore par la « flotte de petits cuirassés en plomb en modèle réduit » découverte, enfant, au fond d’un coffre dans le grenier de la maison familiale à Dourdan.

Art postal « maritime » : enveoloppe affranchie à l’aide de timbres dessinés par Nicolas Vial.

« Je me souviens qu’à l’école primaire j’étais fasciné par les livres de géographie, commence Nicolas Vial, après un hommage à son père, récemment disparu, éditeur, qui m’a appris dès l’enfance l’exigence de la chose imprimée. Je rêvais de pays où j’imaginais habiter plus tard. »

Le peintre égraine ses souvenirs…

La peinture d’un homard – en couverture de l’ouvrage – renvoie à un souvenir de pêche, sur la côte du Finistère, alors qu’il devait avoir quatorze ans. Des vieux bâtiments fumants qu’il peint sont ceux qui ont forgé son imaginaire, illustrations d’un très vieux livre dont il se souvient encore aujourd’hui, Notre Marine de guerre (peut-être du lieutenant de vaisseau Hourst, paru en 1900 ?)…

Une carte de Waterloo sur laquelle évolue un cavalier, sabre au clair, évoquant l’officier de chasseur à cheval de la garde impériale chargeant de Géricault lui permet de rappeler que, « du côté Vial, [il descend] du général Drouot, le Sage de la Grande armée. A Waterloo, il était aide de camp de Napoléon et dirigeait l’artillerie de la garde impériale ».

Timbre « Fédération internationale de voile », création de Nicolas Vial (2007).

Clin d’œil à la philatélie, rapporte-t-il, quand il était gamin, tout le monde dans sa famille l’appelait Colas : « Un oncle avait l’habitude de m’apostropher ainsi : “Alors, comment vas-tu, mon vieux Col, Colo de la Coloniale ?” Pour être clair, je ne suis pas un défenseur de la colonisation française, bien au contraire. Mais j’ai aimé ces timbres, ces affiches portuaires qui me faisaient rêver. » Des timbres-poste dont il compte une vingtaine à son actif parus entre 2003 et 2017, le dernier sur le 50e anniversaire de la Société nationale de sauvetage en mer.

« 70e anniversaire du débarquement », timbre de Nicolas Vial (2015).

D’autres dessins évoquent ses collaborations pour la revue Le Chasse-marée, pour Le Magazine littéraire, pour la Fondation de la mer… bien après sa collaboration avec Le Monde.

Collector de quatre timbres signés Nicolas vial émis le 27 septembre 2011 à l’occasion de l’exposition organisée au Musée de La Poste de Paris « Nicolas Vial. Une lecture du monde ».

« J’ai commencé à dessiner pour le journal Le Monde en 1982, alors que j’étais étudiant aux Beaux-arts de Paris, en section peinture. Je dessinais dans la presse et inconsciemment, je me suis mis à peindre des lecteurs de journaux », un thème récurrent chez lui dont témoigne une exposition organisée en 2011-2012 au Musée de La Poste accompagnée d’un collector timbré.

« Mon bestiaire », pages 66-67.

L’artiste délivre quelques « clefs » de son œuvre : « Pendant mes études d’art, j’étais tombé sur une photographie de Walker Evans [1903-1975] représentant un docker de La Havane, posant dos au mur, en 1933. Ce qui m’avait impressionné sur cette image, c’était les ombres portées du chapeau sur le regard et de la cigarette sur son cou. C’était un peu comme les ombres portées des auvents dans les peintures de Hopper. Ce personnage ne m’a jamais quitté. »

Dessin paru dans « Le Chasse-marée » sur « le difficile sauvetage de la planète Terre ».

Défilent les peintres qui l’ont, comme Dürer, « marqué au fer rouge »… Piranèse, Dali, Delacroix… en contrepoint de l’actualité à laquelle il ne manque pas d’être sensible, du Belem « apportant la flamme olympique d’Athènes à Marseille », au « difficile sauvetage de la planète Terre », dans un ultime clin d’œil du marin au Terrien.

« Vagabondages. Les cartes rêvées de Nicolas Vial », Gallimard, 128 pages, 35 euros.

« Vagabondages. Les cartes rêvées de Nicolas Vial », Gallimard, 128 pages, 35 euros.
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