réponse à Didier Fassin, Nancy Fraser et Ghassan Hage

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En publiant, sur le site Blast, un texte intitulé « Calomnier les analystes critiques de la guerre à Gaza n’est plus tolérable », l’anthropologue français Didier Fassin, la philosophe américaine Nancy Fraser et l’anthropologue libano-australien Ghassan Hage disent vouloir répondre aux « calomnies, insinuations et falsifications des faits » que contiendrait, selon eux, le compte rendu du nouveau livre de Didier Fassin, Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza, paru dans « Le Monde des livres » du 27 septembre, sous le titre « Didier Fassin s’arrange avec les faits ».

Or, leur réponse reproduit les erreurs et informations tronquées que l’article relevait dans Une étrange défaite, en concentrant sa critique sur le « travestissement, par l’auteur, du contenu de ses propres sources ». Loin de démentir cette critique, les auteurs lui donnent un poids supplémentaire.

  1. Ainsi qualifient-ils d’« accusations fausses et indignes » les éléments présentés dans cette phrase de l’article : « Ce n’est pas à cause de “leur condamnation des massacres de civils à Gaza” que les universitaires Nancy Fraser et Ghassan Hage ont été évincés d’universités allemandes, mais de leur contestation du droit à l’existence d’Israël. » Une phrase qu’ils citent, tout en en coupant la fin : « … et, pour le second, de sa qualification du 7-Octobre comme acte de “résistance”. »
    Ils semblent confondre ici les jugements portés par les universités allemandes avec ceux émis par l’article. Dès lors que Didier Fassin écrivait que ces évictions avaient été motivées par la « condamnation des massacres de civils à Gaza » exprimée par les deux intellectuels, la question, dans un article évaluant la rigueur de son livre, était de savoir si tel était bien le motif invoqué par ces institutions.
    Ce n’est pas le cas, et c’est tout ce que soulignait l’article. Leur contestation du droit à l’existence d’Israël était à chaque fois en cause, explicitement, en ce qui concerne Nancy Fraser – voir le communiqué publié par l’université de Cologne –, implicitement, en ce qui concerne Ghassan Hage, auquel l’Institut Max-Planck, dans son propre communiqué, reprochait d’avoir publié sur les réseaux sociaux des messages « incompatibles avec [s]es valeurs fondamentales ». Implicitement, mais clairement, puisque sa décision faisait suite à l’article publié quatre jours plus tôt par Die Welt, qui résumait les positions de l’anthropologue en parlant de « haine d’Israël ».
    Le magazine allemand citait, entre autres, une note de blog, reprise sur X, dans laquelle Ghassan Hage écrivait, le 7 octobre 2023 : « La capacité de résistance des Palestiniens est infinie. Ils ne font pas que creuser des tunnels. Ils peuvent aussi voler au-dessus des murs. » C’est également ce que rappelait « Le Monde des livres » en soulignant qu’il était reproché à Ghassan Hage de qualifier le 7-Octobre d’« acte de “résistance” ».
  2. Les auteurs accusent l’article de chercher à « dénigrer » à la fois Une étrange défaite et l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, en critiquant la manière dont Didier Fassin cite le rapport sur cette dernière, remis le 22 avril à l’ONU. « Le Monde des livres », écrivent-ils, « affirme qu’il existe “deux occurrences antisémites” dans les livres scolaires qu’elle utilise. Or, le “rapport final” indique que les deux formulations en question, dans des manuels rédigés par l’Autorité palestinienne, ont été dès 2020, pour l’une, “supprimée”, et pour l’autre, “significativement altérée” ».
    Comment supprimer ou altérer ce qui n’existe pas ? En reconnaissant que « deux occurrences antisémites » étaient présentes, les auteurs corrigent de fait une erreur de Didier Fassin, qui écrivait que ce rapport avait attesté l’« absence de formulations antisémites dans les livres scolaires ». Pour autant, ils omettent, dans leur citation du rapport, ce qui est noté page 28 à propos de l’occurrence « significativement altérée » : « Il n’est pas certain que cette modification ait effectivement supprimé le contenu antisémite. »
  3. « Pour établir un désir d’exagérer la réalité de l’islamophobie, l’article met en question la multiplication par trois des “actes antimusulmans” au quatrième semestre 2023 », écrivent les auteurs, sans mentionner la critique réellement formulée dans l’article, sur le calcul erroné auquel se livre Didier Fassin quand il écrit que les actes antisémites recensés ont été multipliés par « 2,5 » entre 2022 et 2023, alors qu’ils l’ont été par 3,8, inexactitude qui rend trompeur l’ensemble du raisonnement de Didier Fassin à ce sujet.
    Son lecteur pouvait, en effet, croire que les actes antisémites avaient moins augmenté – 2,5 – que les actes islamophobes – 3 –, alors que le premier chiffre est faux et que le second, même sans cette erreur, n’aurait pas permis une comparaison pertinente – personne n’est censé comparer une évolution trimestrielle et une évolution d’une année à l’autre. Entre 2022 et 2023, les actes islamophobes ont été multipliés par 1,3.
  4. Les auteurs écrivent enfin : « Pour faire accroire à une volonté [dans le livre] de délégitimer l’interdiction d’une conférence à Lyon-II, il est affirmé [dans l’article] que cette annulation n’a pas été décidée “à la demande du Conseil représentatif des institutions juives”, quand le quotidien cité en a fait le titre de son reportage. »
    Or, ils renvoient, par un lien Internet (présent dans leur texte au moment où nous écrivons ces lignes, dimanche 20 octobre), au quotidien Le Progrès, dont le titre est en réalité « Université Lyon-II : une conférence jugée propalestinienne annulée sur demande de la préfecture ». Soit, précisément, ce que dit l’article du « Monde des livres » – sur ce point particulier comme sur la question générale du travestissement des sources.



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