Au Liban, les Palestiniens disent n’avoir « plus rien à perdre »

4692


Les commerçants, les femmes et les enfants du camp de réfugiés palestiniens de Beddawi se sont agglutinés le long des ruelles du marché pour voir passer le cortège. En milieu d’après-midi, vendredi 18 octobre, une heure après la confirmation par le Hamas de la mort de son chef, Yahya Sinouar, dans la bande de Gaza, ses sympathisants se sont réunis dans ce camp de Tripoli, dans le nord du Liban, pour commémorer le « martyr ». Des responsables du Fatah, le parti rival du président Mahmoud Abbas, se sont joints à eux pour témoigner de leur respect à cette « figure de la résistance palestinienne ».

Depuis les balcons, à travers les pelotes de fils électriques suspendues entre les immeubles, des femmes jettent du riz sur les quelques centaines d’hommes et d’enfants qui défilent. Au son des chants à la gloire du Hamas et de la résistance palestinienne, crachés depuis les haut-parleurs d’une estafette, des adolescents ouvrent la marche avec un portrait géant de Yahya Sinouar et des drapeaux des Brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du Hamas. Les mines sont graves mais aucune manifestation, ni de joie ni de colère, ne parcourt l’assemblée.

Un portrait du chef du Hamas Yahya Sinouar, dans les rues du camp palestinien de Beddawi, à Tripoli, au Liban, le 18 octobre 2024.

« Il est mort tel qu’il l’a voulu : en combattant. Il n’était pas caché sous terre. Il était dans le quartier de Tel Al-Sultan, à Rafah, là où les Israéliens ne cessent de bombarder. J’aurais donné la vie de mon fils à la place de la sienne. Même les gens du camp qui n’aimaient pas Sinouar politiquement le respectent pour cela et pour ce qu’il a fait pour la Palestine », clame Moustafa, un sympathisant du Hamas de 43 ans, qui a refusé de donner son nom de famille.

Le portrait de Sinouar bientôt partout à Beddawi

En diffusant les images des derniers instants de Yahya Sinouar, l’armée israélienne a, sans le vouloir, décuplé la force de la légende du chef du Hamas. Son portrait sera bientôt placardé partout à Beddawi, avec ceux d’Ismaïl Haniyeh, son prédécesseur, et d’Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, tués avant lui par Israël. La mort au combat de l’architecte de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », le 7 octobre 2023, qui a fait plus de 1 200 morts en Israël, force le respect même des voix les plus critiques au sein du camp. Certains disent néanmoins leur scepticisme quant à la stratégie du Hamas, au vu de la dévastation infligée en retour par Israël à l’enclave palestinienne et à la mort de 42 000 Gazaouis depuis un an, selon les chiffres du ministère de la santé gazaoui corroborés par les organisations humanitaires.

« Yahya Sinouar est un résistant comme tout le peuple palestinien, mais le Hamas essaie toujours de se mettre sous les projecteurs », critique Shadi Marzouq, un chef local des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, liées au Fatah. « L’opération “Déluge d’Al-Aqsa” était une erreur car elle est liée à l’Iran, poursuit ce combattant de 44 ans, dont la famille est originaire de Galilée. Elle a détruit la bande de Gaza et a tué tellement d’innocents. Il va nous falloir cent ans pour reconstruire Gaza. Mais, nous n’avons plus rien à perdre. Tous les Palestiniens veulent mourir en martyr pour récupérer leur terre. Au Liban, les réfugiés n’ont pas de vie : ils ont faim, ils vivent dans des conditions déplorables, ils n’ont aucun droit. »

Il vous reste 58.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link