En Israël, l’air est devenu irrespirable pour Meir Baruchin. Le sexagénaire, qui revient de huit jours de randonnée en Scandinavie, où il tentait de se « changer les idées », reçoit toujours de nombreux messages d’insultes et de violentes menaces sur les réseaux sociaux. « Des anonymes nous souhaitent souvent, à mes quatre enfants et moi, de mourir », décrit ce professeur de philosophie et d’éducation civique dans un lycée de Petah Tikva, à l’est de Tel-Aviv, assis dans le salon de son appartement du sud de Jérusalem, en ce début du mois d’août. Depuis bientôt dix mois, l’enseignant est visé par une enquête pour « troubles à l’ordre public » et « intention de trahir l’Etat d’Israël » après la publication en octobre 2023, sur Facebook, de deux courts textes dénonçant la mort de civils palestiniens, tués dans des frappes de l’armée israélienne sur la bande de Gaza, menées en représailles à l’attaque du Hamas en territoire israélien.
Malgré la décision d’un procureur de ne pas le mettre en examen, la police de Jérusalem n’a pas abandonné les charges qui pèsent contre lui. Pour le « harceler », assure ce diplômé en sciences politiques et en histoire américaine. En parallèle de cette intense pression judiciaire, Meir Baruchin, qui a d’abord perdu son emploi avant d’être réintégré au même poste en début d’année, vient de recevoir son nouvel emploi du temps et prépare ses cours pour la rentrée, précise-t-il, un léger sourire aux lèvres, comme pour souligner l’absurdité de la situation. « Mon parcours personnel, ces derniers mois, restera sûrement le meilleur enseignement d’éducation civique de toute ma carrière. »
Son histoire, qui a débuté par une banale publication sur Facebook, le 8 octobre 2023, vingt-quatre heures après les massacres commis par le Hamas où plus de 1 000 personnes ont été assassinées, est devenue un symbole des féroces attaques de l’Etat hébreu contre la liberté d’expression. Dans deux posts publics, accompagnés d’une photo d’enfants palestiniens tués dans les bombardements massifs de la bande de Gaza par l’armée israélienne, Meir Baruchin prie son gouvernement de « stopper cette folie ». Des dizaines de personnes, dont certains de ses collègues du lycée, s’insurgent alors dans des commentaires de ses propos jugés trop critiques.
Son appartement fouillé par la police
Le 18 octobre 2023, le professeur, connu pour ses positions politiques marquées à gauche, est convoqué devant le conseil de discipline du lycée où il enseigne depuis dix-sept ans. Sur la seule base de cette poignée de phrases publiées en ligne, Meir Baruchin est licencié dès le lendemain. Dans la foulée, sa hiérarchie dépose plainte. La police fouille et « saccage » son appartement début novembre, à la recherche de preuves de « sédition » dans ses archives et ses appareils électroniques, tous confisqués. Sur une vidéo filmée peu de temps après la perquisition, consultée par Le Monde, ses affaires jonchent le sol de son domicile.
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