entre apparitions de la Vierge et diabolisation de l’autre, le rôle mal connu de la religion

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Mémorial du génocide de l’église de Nyamata, à Nyamata, au Rwanda, le 12 mars 2014.

Au premier plan, un cadavre nous regarde de ses orbites vides. Derrière lui, le surplombant, un grand Christ de marbre blanc ouvrant des bras accueillants. Ce cliché terrifiant pris par le photographe de guerre Gilles Peress devant l’église de Nyarubuye, au Rwanda, en 1994, a frappé les esprits. Il est venu illustrer une réalité singulière du génocide des Tutsi : les tueries eurent souvent lieu dans des édifices religieux ou à leur proximité immédiate.

Environ 12 % des victimes y furent en effet assassinées, selon divers recensements. Une cinquantaine d’églises, principalement catholiques, ont ainsi été identifiées comme des lieux de massacre où des milliers de personnes furent mises à mort.

Lors de précédents pogroms contre les Tutsi (1959, 1963, 1973), les églises et les temples avaient été épargnés. En 1994, les Tutsi les rejoignirent donc massivement, croyant de nouveau y trouver asile. Mais, cette fois, les génocidaires n’épargnèrent pas les édifices sacrés. De refuges espérés, ceux-ci se transformèrent ainsi en pièges mortels.

Que de si nombreux lieux de culte soient devenus des charniers pose la question de la place de la religion dans le génocide. Les historiens Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas voient même dans la « dimension spécifiquement religieuse de la violence extrême » l’une des grandes singularités du génocide rwandais, comparativement à d’autres massacres de masse de l’époque contemporaine (« Le génocide des Tutsi, vingt ans après », dans la revue Vingtième Siècle, avril-juin 2014).

Saintes bénédictions

Les tueries qui firent environ 1 million de morts entre avril et juillet 1994 ne relèvent certes pas d’une guerre de religion, au sens où les tenants d’une confession s’en prendraient à ceux d’une autre. Au moment où commence le génocide, la population rwandaise, qu’elle soit hutu ou tutsi, est très majoritairement chrétienne, et l’Eglise catholique réunit à elle seule environ 60 % des Rwandais.

Lors des massacres, on n’a pas vu les catholiques se jeter sur les protestants ou l’inverse, mais des Hutu tuer leurs coreligionnaires tutsi. Le génocide au Rwanda ne donna donc pas lieu à des « violences interreligieuses », mais à des « massacres intrareligieux », expliquent Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas.

Contacté par Le Monde, l’historien Rémi Korman abonde dans son sens, expliquant que l’on a tué pour des raisons ethniques davantage que religieuses. Mais il rappelle également : puisque « le religieux est omniprésent dans la société rwandaise », les génocidaires ont parfois donné « une tonalité religieuse à une violence qui s’exerçait pour des raisons politiques ».

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