« On voit émerger un questionnement sur l’abus de ceux qui, en place de père ou d’autorité, imposent le monopole de leur jouissance »

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Clotilde Leguil, psychanalyste et philosophe, professeure à l’université Paris-VIII, a écrit Céder n’est pas consentir (PUF, 2021) et L’Ere du toxique (PUF, 2023). Elle défend la pertinence de la psychanalyse sur les questions d’emprise et de consentement.

Outre l’âge des protagonistes, que voyez-vous de commun entre l’histoire de Judith Godrèche et celle de Vanessa Springora ?

Vanessa Springora a apporté depuis la littérature un questionnement inédit sur le consentement en tant qu’énigme en soi. Le Consentement [Grasset, 2020] montre très bien comment le sujet peut consentir à une rencontre amoureuse et sexuelle, et finalement s’apercevoir que ce à quoi il a consenti n’est pas du tout ce qui lui est arrivé. Le propre du pervers est non seulement de jouir du corps d’un autre sans son consentement, mais de violer aussi son psychisme en lui faisant croire qu’il consent à ce qui le détruit. Pourquoi se « laisse-t-on faire » ? « Ce truc – le consentement –, je ne l’ai jamais donné », dit Judith GodrècheToutes deux passent par la création pour explorer quelque chose de ce mystère du consentement. Dans la mini-série Icon of French Cinema, Judith Godrèche s’interroge sur la question de l’emprise.

En entendant Benoît Jacquot parler, dans Les Ruses du désir, le documentaire de Gérard Miller tourné en 2011, de ce qu’elle a alors été pour lui, elle témoigne avoir éprouvé en son corps après coup les effets traumatiques de cette emprise passée. Selon le réalisateur, le cinéma servirait de couverture à un étrange pacte, formulé ainsi : « Si je lui donne le film, elle, en retour, se donne complètement. Ce qui est à entendre dans tous les sens qu’on voudra. » On a vraiment là un scénario sadien. Dans Kant avec Sade, Lacan [au sujet duquel Benoît Jacquot a réalisé un film, écrit avec Jacques-Alain Miller] reprend cette phrase à Sade, tirée de La Philosophie dans le boudoir : « J’ai le droit de jouir de ton corps sans qu’aucune limite m’arrête dans le caprice des exactions que j’ai le goût d’y assouvir. » Benoît Jacquot se sert beaucoup de formules lacaniennes – le désir de désir, la dimension transgressive, le rapport du désir à la loi – pour légitimer ce pacte d’assujettissement.

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C’est encore une « certaine époque », imprégnée d’idées sur le désir des enfants et des adolescents, qui se retrouve mise en cause. Il y a eu là, dites-vous, un mésusage de l’héritage de la psychanalyse…

De même que le consentement était une non-question à l’époque de la libération sexuelle et dans les années qui ont suivi, la jouissance semblait être considérée comme légitime dès lors qu’elle s’affirmait contre la répression exercée sur la sexualité. On voit bien aujourd’hui émerger un questionnement sur l’abus de ceux qui, souvent en place de père ou d’autorité, après avoir renversé eux-mêmes l’autorité, imposent le monopole de leur jouissance légitime. La formule de Lacan définissant, en 1960, l’éthique de la psychanalyse, « ne pas céder sur son désir », a été utilisée à contresens.

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