[Ce fut l’une des plus célèbres affaires judiciaires de la France des années 1970. Le 30 janvier 1976, à la sortie de l’école de Pont-Sainte-Marie, près de Troyes, Patrick Henry avait enlevé et tué un garçon de 7 ans, Philippe Bertrand. Le procès de Patrick Henry, qui s’ouvrit le 18 janvier 1977 devant la cour d’assises de l’Aube, à Troyes, eut un retentissement considérable. Le 20 janvier 1977, Robert Badinter, l’un de ses deux avocats, prononça une plaidoirie mémorable au cours de laquelle il fit le procès de la peine de mort. Finalement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, Patrick Henry est mort le 3 décembre 2017. Nous republions ici le compte-rendu de la plaidoirie de Robert Badinter que fit Pierre Georges pour Le Monde.]
Archive. Les mots sont maladroits. Les écrits trahissent. Les citations limitent. Comment rapporter ici la dimension incroyable de ce qui s’est passé jeudi après-midi dans cette salle d’assises comble et surchauffée, ce souffle prodigieux qui a inversé la séance d’un procès pour en changer le dénouement apparu inexorable ? Comment expliquer et témoigner que ces jurés de l’Aube, ces six hommes et ces trois femmes, à juste titre traumatisés par l’horreur extrême d’un crime, ont eu la raison et le courage d’accorder à celui qui n’en méritait guère, et n’en voulait aucune, le bénéfice de la circonstance atténuante absolue : celle d’être un homme. Malgré tout et malgré lui.
Honnêtement, jeudi à midi, tout nous semblait dit. Comme si chaque heure, chaque minute, chaque seconde supplémentaires devait n’être plus, pour le petit jeune homme glacial et glaçant, là, à côté dans le box, qu’un pas de plus vers la décision irrémédiable. Comme si chaque seconde rapprochait davantage une femme en pleurs, Mme Henry, cette mère dont l’une des filles caressait doucement, pour l’apaiser, le visage bouleversé de Pietà, vers l’ultime et le pire instant de son calvaire : entendre la condamnation à mort de son fils.
Tout semblait dit à tous : Patrick Henry avait déjà la tête sous le couperet, et seule une grâce présidentielle l’en sortirait peut-être encore. Non pas que la famille de l’enfant assassiné ait demandé vengeance ou le prix du sang. Non. La plaidoirie de Me Joannès Ambre fut digne, bien au-delà de la loi du talion, dont les parents du petit Philippe ne voulaient pas. Digne, mais tellement attachée aux faits qu’elle en était devenue accablante : « Ce procès aurait pu être celui du chagrin et de la pitié, il s’en est fallu de peu de chose, d’un élan du cœur, d’un élan de la sincérité, avait dit Me Ambre. M. et Mme Bertrand avaient perçu à la lecture des journaux je ne sais quel frémissement qui leur paraissait surprenant et profond, nourri d’une certaine espérance. Emus par ces indications, ils ont souhaité savoir si celui dont ils allaient rencontrer le regard correspondait à ces descriptions. Dans ce regard ils n’ont vu aucun remords. »
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