« Sur une échelle de 1 à 10, selon laquelle 1 veut dire que vous êtes complètement d’accord et 10 que vous n’êtes pas du tout d’accord, dans quelle mesure êtes-vous d’accord avec chacune des déclarations suivantes ?
– Si un groupe social s’enrichit, cela vient forcément aux dépens d’un autre groupe.
– En commerce international, si un pays s’enrichit, alors un autre s’appauvrit forcément. »
Votre réponse à ces questions est susceptible de prédire votre positionnement vis-à-vis des politiques publiques, des politiques fiscales et des politiques d’immigration, et ce, peut-être encore plus que votre appartenance à une famille politique donnée. C’est ce que montre une étude récente de Sahil Chinoy, Nathan Nunn, Sandra Sequeira et Stefanie Stantcheva (« Zero-Sum Thinking and the Roots of U.S. Political Divides », NBER Working Papers n° 31688, 2023). De plus, votre réponse est sans doute conditionnée par l’expérience de mobilité économique de votre famille, et de la confrontation de vos aïeux à l’oppression et à la répression.
Ces questions, posées par les auteurs dans le cadre d’une vaste enquête sociodémographique, visent à mesurer dans quelle mesure les individus adhèrent à l’idée de jeu à somme nulle, conception selon laquelle les progrès économiques d’un groupe ou individu donné se font forcément aux dépens des autres. Cette conception est bien sûr justifiée dans un monde où les ressources sont limitées, mais pas dans un monde où le progrès technologique permet de faire fructifier ces ressources.
Le degré d’adhésion à l’idée de jeu à somme nulle est donc inverse à la croyance dans les capacités du progrès technologique à délivrer de la croissance économique, et dans la capacité du système politico-économique à en redistribuer les fruits équitablement entre les groupes sociaux. Et ces croyances déterminent le positionnement politique des individus.
Une adhésion particulièrement clivante
Une vision du fonctionnement économique comme un jeu à somme nulle s’accompagne d’une plus grande volonté de taxer et de redistribuer le revenu, et d’un soutien plus favorable aux politiques dites « de discrimination positive », notamment en faveur des femmes et des minorités ethniques. Mais elle s’accompagne aussi d’une plus grande opposition à l’immigration. Ces croyances sont donc bien distinctes des positionnements gauche-droite classiques.
Cependant, elles peuvent être récupérées par les partis politiques. Ainsi, aux Etats-Unis, alors que les sympathisants du Parti démocrate sont plus susceptibles de conceptualiser le monde comme un jeu à somme nulle, les auteurs montrent que le discours de Donald Trump séduit particulièrement les adhérents à cette mentalité.
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