L’islamologue Rachid Benzine œuvre depuis toujours pour le dialogue interconfessionnel. De sa jeunesse à Trappes, dans les Yvelines, cet enseignant a gardé le goût de l’échange dans une période où les affrontements sur les questions religieuses deviennent paroxystiques. Après avoir publié en septembre 2023 un roman très remarqué, intitulé Les Silences des pères (Seuil), il travaille actuellement à un essai sur la guerre des récits.
Je ne serais pas arrivé là si…
… si je n’étais pas entré dans le domaine associatif dans les années 1980 avec mes amis de Trappes. J’avais 14 ans et je suis devenu vice-président d’une association qui s’appelait Issue de secours. On s’ennuyait, on voulait simplement un lieu avec un baby-foot, faire des boums et écouter du funk et de la soul. Au début, on nous l’a refusé, alors nous avons organisé une marche et un sit-in à la mairie pour protester contre cette décision. Nous avons été la première association de jeunes à Trappes. Très vite, on a mis en place du soutien scolaire pour les plus petits. Comme nous étions tous mineurs, des adultes sont venus nous épauler en occupant les postes de président, secrétaire, trésorier, etc. Cette aventure collective a été fondatrice pour moi. J’y ai rencontré un prêtre-ouvrier, Jean-Michel Degorce, qui est arrivé avec des chrétiens de gauche très engagés pour nous donner un coup de main. J’ai compris que, pour grandir, il fallait que des adultes nous fassent confiance.
Vous êtes né au Maroc, à Kénitra. Comment votre famille s’est-elle retrouvée à Trappes ?
Mes parents venaient de la campagne, d’un milieu populaire. Mon père avait eu des diplômes et avait créé une école d’apprentissage en langue arabe dans un bidonville avant de partir en France chercher du travail. Des amis lui avaient trouvé un boulot sur un chantier. Au départ, il vivait dans des foyers Sonacotra. Il n’avait pas l’intention de faire venir sa famille, il voulait juste gagner assez d’argent pour subvenir à nos besoins et rentrer au Maroc. Puis ma grande sœur l’a rejoint, elle faisait des ménages. C’est elle qui a incité mon père à nous faire venir dans le cadre du regroupement familial. Il a donc fait une demande de logement. Ma mère n’avait aucune envie de quitter son pays, ses frères et sœurs. Elle a fini par dire : « S’il y a de bonnes écoles pour les enfants, d’accord. » Finalement, mes parents ne sont plus jamais repartis. Mon père a passé toute sa vie ici en tant que ferrailleur. Quand il ne travaillait pas, il se réfugiait dans les livres, il lisait de la poésie, de la théologie et de l’exégèse du Coran. Il était considéré comme un érudit par ses amis.
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