C’est un premier signe de détente, après plus de cinq mois d’un bras de fer inflexible engagé par le régime militaire de Niamey contre le président qu’il a renversé. Lundi 8 janvier, le général Abdourahamane Tiani, président autoproclamé à la suite du coup d’Etat du 26 juillet 2023 survenu au Niger, a accepté de libérer Salem Bazoum, le fils de Mohamed Bazoum, « à titre humanitaire », a rapporté dans un communiqué le ministère des affaires étrangères du Togo, pays médiateur dans cette crise.
L’étudiant de 22 ans, qui était séquestré depuis le putsch au sein du palais présidentiel de Niamey avec son père et sa mère, Haziza Bazoum, est arrivé lundi soir à Lomé, la capitale togolaise. Ses parents restent quant à eux captifs des soldats de la garde présidentielle du général Tiani. Sur des images diffusées par la RTN, la télévision nationale, Salem Bazoum est apparu en bonne santé, aux côtés du premier ministre nigérien Ali Mahaman Lamine Zeine et du chef de la diplomatie togolaise Robert Dussey, chargé de rentrer à Lomé avec le jeune homme.
Quelques heures plus tôt, la fuite sur les réseaux sociaux d’une « attestation de mise en liberté provisoire » le concernant, émanant du tribunal militaire nigérien, avait surpris l’entourage de l’ex-famille présidentielle. Des sources qui lui sont proches assuraient ne rien savoir de cette libération et « ne pas parvenir à joindre Salem ». Sur le document, le fils du président déchu y était décrit comme étant « inculpé de complot ayant pour but de porter atteinte à l’autorité ou à la sûreté de l’Etat », ce que ses proches ignoraient. « Cette inculpation a été fabriquée à la dernière minute par la justice militaire pour légitimer sa détention », dénonce une source judiciaire nigérienne proche de Mohamed Bazoum.
« Une forme de chantage »
Le 15 décembre, la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), saisie par les avocats de la famille Bazoum trois mois plus tôt, avait ordonné leur remise en liberté immédiate, qualifiant leur détention d’arbitraire. Une décision qui n’avait pas été suivie d’effet. « Nous n’avons jamais empêché son fils et sa femme de partir. C’est Bazoum qui refusait qu’ils soient libérés sans lui », assure un conseiller du gouvernement de transition. Plusieurs membres de l’entourage du président déchu confirment que ce dernier s’est en effet opposé à leur sortie tant que les garanties nécessaires concernant leur sécurité, une fois libres, n’avaient pas été obtenues auprès de leurs geôliers. « M. Bazoum craignait qu’ils exercent ensuite sur eux une forme de chantage afin d’obtenir sa démission, qu’il refuse toujours de signer », glisse un de ses proches.
Après des mois de blocage, la libération de Salem Bazoum a finalement été obtenue par l’entremise du Togo, qui avait été désigné médiateur officiel au côté de la Sierra Leone le 10 décembre par la Cedeao lors d’un sommet de l’instance régionale organisé à Abuja, la capitale nigériane. Seul médiateur à être parvenu à gagner la confiance du régime militaire, Lomé, qui a toujours eu une position conciliante vis-à-vis d’Abdourahamane Tiani, s’était engagé dans des négociations discrètes dès le lendemain du putsch.
Ni la menace d’une intervention militaire régionale agitée dès la survenue du coup d’Etat par les chefs d’Etat voisins – depuis renvoyée aux calendes grecques – ni les lourdes sanctions imposées par la Cedeao (embargo territorial et économique, sanctions commerciales et suspension de l’approvisionnement du pays en électricité) ni les multiples tentatives de médiations initiées par l’instance régionale, l’Algérie, les Etats-Unis ou encore le Tchad, n’avaient jusque-là permis de faire plier la junte.
Sortir de l’impasse
Pour sortir de l’impasse, Faure Essozimna Gnassingbé et son ministre Robert Dussey n’ont cessé de multiplier les allers-retours entre Lomé et Niamey. « Faure était encore au Niger la semaine dernière pour faire sortir les Bazoum et obtenir un allègement des sanctions », raconte un conseiller de l’ancien président. Pénuries des denrées de base, hausse de l’inflation, difficultés à payer les fonctionnaires malgré une réduction drastique de 40 % du budget de l’Etat, manque de liquidités dans les banques, délestages électriques quotidiens, incapacité de l’Etat à se financer sur les marchés régionaux : après cinq mois passés à tenir tant bien que mal ce lourd régime de restrictions, les autorités militaires se sont retrouvées au bord de l’asphyxie économique et ont fini par lâcher du lest dans l’espoir d’un allègement des sanctions.
La Cedeao a ouvert la voie à leur assouplissement lors de son sommet du 10 décembre, le conditionnant à la bonne volonté du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, l’organe décisionnaire de la junte) à opérer une « transition courte » menant à un retour des civils au pouvoir et à la libération de l’ex-famille présidentielle. L’instance ouest-africaine pourrait-elle desserrer la vis dans les prochaines semaines même Mohamed Bazoum et de sa femme demeurent prisonniers et qu’aucun agenda pour un retour à l’ordre constitutionnel n’a pour l’instant été annoncé par la junte ?
Les émissaires togolais de la Cedeao pourraient revenir prochainement à Niamey. Selon la RTN, ils ont été priés de revenir « si possible, dès cette semaine ». Une lettre du premier ministre nigérien datée du 5 janvier a néanmoins démandé le report de leur visite à la fin du mois, justifiant sa requête par « le calendrier très chargé… en raison des préparatifs du dialogue national inclusif ». Ce dernier est censé ouvrir la voie à la tenue d’un forum national, annoncé par la junte pour octobre et seul organe à même, selon elle, de déterminer la durée de la transition, qui n’excédera pas trois ans, avait simplement promis le général Tiani en août. Mais depuis, le forum se fait attendre. Aucune date n’a été fixée par les autorités.